Rassemblant La France insoumise, le Parti communiste français et le Parti socialiste, ainsi que Les Écologistes, Place publique, Génération·s, la Gauche républicaine et socialiste, le Nouveau Parti anticapitaliste et la Gauche écosocialiste, le Nouveau Front Populaire est né le 10 juin dernier pour affronter le Rassemblement National et ses alliés, ainsi que le rassemblement des partis soutenant la majorité présidentielle des élections législatives anticipées. Il fait référence au «Front populaire » de Léon Blum, né à l’été 1936. Historienne, spécialiste de la gauche de l’entre-deux-guerres, Aude Chamouard nous replonge dans cette période pour nous offrir un peu de recul sur cette notion, avant les élections.
Par Aude Chamouard
Dans l’imaginaire collectif, le Front populaire évoque un été, celui de 1936, une photographie, celle des leaders de la gauche (Léon Blum, Maurice Thorez, Roger Salengro et Maurice Violette, Pierre Cot ) tout juste victorieux et unis pour résister à la montée de la droite ligueuse, le 14 juillet 1936. Le Front populaire devient ainsi une mythologie d’union sans cesse réinvoquée par la gauche française, lors du tripartisme pendant la Quatrième République, lors de la victoire de 1981, tel un talisman contre la désunion. En disant, le 14 juillet 1935 ou un an plus tard, qu’elle est unie, la gauche française tente de gommer toutes ses différences ; elles vont, en réalité, resurgir deux mois après la victoire de la gauche, menant à de nouvelles divisions et à des renoncements.
Le Front populaire est donc aussi devenu un contre-modèle car il est, en réalité, marqué par la désunion de la gauche et par les renoncements. Désunion de la gauche car le parti communiste, qui devait initialement participer au gouvernement, va se contenter d’un soutien sans participation, formule bancale qui lui permet, en définitive, de soutenir les projets qu’il souhaite, de s’abstenir sur d’autres ou de voter contre. Cette formule n’est pas étrangère aux socialistes qui l’ont pratiquée pendant tout l’entre-deux-guerres envers les gouvernements menés par leurs amis radicaux. Cela rend l’alliance bancale puisque les communistes sont des alliés. En 1936-1937, depuis le Palais Bourbon, le groupe communiste n’hésite alors pas à critiquer le chef du gouvernement, Léon Blum, notamment sur sa politique espagnole. Mais les radicaux aussi, divisés eux-mêmes sur cette union de Front populaire, sont ceux qui feront tomber le premier gouvernement Blum, au Sénat en juin 1937, sur la question des pleins pouvoirs financiers.
Union bancale donc, éphémère, car la situation internationale est venue briser cette coalition. Le doute vient d’une guerre étrangère, mais pas si étrangère : la guerre civile déclenchée en 1936 en Espagne entre républicains (qui dirigent, eux aussi, un Front populaire) et franquistes. Proche du gouvernement légal, républicain, du pays, Léon Blum est contraint par son opinion publique et par les Anglais de renoncer à l’aider officiellement. Le chef socialiste du gouvernement envoie l’aide – moins massive que prévue – par des canaux officieux, s’aliénant ainsi ses alliés communistes.
Ces divisions qui resurgissent quelques mois à peine après la formation du gouvernement posent la question des effets, sur la gauche révolutionnaire, de l’exercice du pouvoir. Léon Blum avait insisté pendant les années 1920 et une partie des années 1930 pour en préserver son parti en choisissant de ne pas participer aux gouvernements radicaux. La situation internationale contraint le leader socialiste à concéder une « occupation du pouvoir » en 1936 pour faire face au péril de l’extrême droite. Ce choix d’occuper le pouvoir va mener à des décisions en faveur de la France et non du parti. Comme l’écrit l’historien Serge Berstein, en faisant le choix du réarmement de la France en mars 1937, Léon Blum, d’homme de parti, devient homme d’État. Si le maréchal Pétain essaya, lors du procès de Riom, de rendre Blum responsable de la défaite de 1940, en réalité, le réarmement français a véritablement été lancé par Léon Blum, qui fit le choix de la France et non de ses alliés politiques.
Le front populaire reste ainsi un événement polysémique pour les Français. Moment d’union pour la gauche, mais aussi de responsabilité et de renoncements pour les socialistes. Certes, le Front populaire n’incarna l’union de la gauche que le temps d’un été, mais comme le dit François Mitterrand lors de son hommage à Pierre Mendès France le 27 octobre 1982, la postérité d’un gouvernement ne dépend pas du temps passé au pouvoir : « L’histoire ne fait pas ces comptes-là. Léon Blum, pour un an. Gambetta et Jaurès, pour si peu, pour jamais, pour toujours. »