Le Festival du film slovène à Paris fête sa deuxième édition avec un captivant programme féminin

Little Trouble Girls ouvre les festivités à l’Entrepôt

Ce 20 novembre au cinéma L’Entrepôt, le Festival du film slovène s’ouvre dans deux salles avec Little Trouble Girls en présence de la réalisatrice Urška Djukić, de l’Ambassadrice de Slovénie, Renata Cvelbar Bek et de Nerina Kocjančič, la responsable de la promotion de la distribution internationale du film slovène auprès du Centre du film slovène. Nadia Paschetto, la directrice du Arras Film Festival qui a programmé Little Trouble Girls cette année, a également pris la parole pour partager son enthousiasme pour le cinéma slovène.

Lauréat du prix de la critique à Berlin et nommé pour European Film Awards, Little Trouble Girls est le premier long-métrage d’Urška Djukić, réalisatrice révélée en 2022 avec son court métrage La vie sexuelle de Mamie. Évoquant cette fois-ci l’éveil du désir chez une adolescente, Djukić utilise un langage cinématographique intimiste, subtil et déconcertant pour raconter la respiration du corps au sein d’une chorale catholique enfermée dans un monastère en travaux. « Quand nous avons fait le repérage, nous avons appris que les travaux allaient durer plusieurs mois, donc j’ai décidé de les intégrer dans l’histoire ». Pari réussi, car la présence d’ouvriers torse nu ne pouvait qu’ajouter une couche supplémentaire aux troubles sentimentaux des jeunes filles. Little Trouble Girls sera à l’affiche dans les cinémas français à partir du 11 mars 2026.

Les petits héros à l’honneur dans Ida et Block 5

Le thème du passage à l’âge adulte se poursuit le lendemain. Après la projection du chef-d’œuvre de la Nouvelle Vague yougoslave, Sur les Ailes en Papier de Matjaz Klopcic de 1967, le film Ida qui chantait si mal que même les morts se sont levés pour chanter avec elle, braque le projecteur sur l’univers onirique d’une fille de dix ans, confrontée à la mort de sa grand-mère. Basé sur la collection de nouvelles Aucune voix de l’écrivaine slovène Suzana Tratnik, le premier long-métrage d’Ester Ivakič est remarquablement interprété par une équipe d’acteurs majoritairement non professionnels. Lana Marić dans le rôle d’Ida est particulièrement touchante dans ce film d’ambiance, imprégné de réalisme magique aux contours spatio-temporels volontairement flous. Admirablement filmé et accompagné d’une bande originale rêveuse et mélancolique, Ida est un beau film d’auteur qui a suscité beaucoup d’intérêt lors de l’échange avec la coscénariste Nika Jurman après la projection.

Block 5 du réalisateur Klemen Dvornik, présenté dans la section Kids au Festival de Locarno et projeté samedi après-midi à L’Entrepôt, est le troisième film du festival qui met en scène l’initiation d’une jeune fille dans l’univers des adultes. Alma (Kaja Zabert), la petite nouvelle dans le quartier, doit forger une alliance avec une bande hostile de jeunes skateurs et défier son père architecte (Marko Mandić) pour sauver un terrain de jeu d’une reconversion en parking. L’aventure qui oppose les enfants et les adultes dans le combat pour le skatepark est habilement racontée du point de vue des enfants qui grandissent dans un quartier mixte de la banlieue de Ljubljana. Les séquences skateboard filmées en format vertical TikTok, accompagnées de la musique trap pop, alternent avec des scènes plus douces et intimes qui montrent le désarroi et le chagrin d’une jeune fille orpheline de mère. Alma cherche à donner un sens à la disparition de sa mère lors d’une mission en Amazonie en faisant sien son combat « pour les arbres ». Bien rythmé et filmé, avec des personnages attachants et captivants, Block 5 a ravi les nombreux jeunes spectateurs, mais aussi leurs parents.

Une mordante thérapie familiale avec Aliocha Schneider

Family Therapy est le troisième long-métrage de Sonja Prosenc. Présentée au Festival de Tribeca en 2024 et distribuée en France depuis août 2024, la satire sociétale grinçante a été projetée à L’Entrepôt samedi soir en présence de la réalisatrice. « Tout est parti d’une anecdote que j’ai vécue enfant. Notre voiture a pris feu et personne ne s’est arrêté pour nous aider », la réalisatrice explique l’inspiration pour son film qui s’ouvre avec cette scène. Une famille visiblement aisée passe devant la famille au bord de la route sans s’arrêter ; on entend la voix nasale et immédiatement reconnaissable du philosophe néomarxiste Slavoj Žižek à la radio. Rentrant de l’aéroport, la famille Kralj (roi en slovène) ramène le jeune et beau Julien (Aliocha Schneider), le fils français du patriarche Aleks (Marko Mandić) d’une relation antérieure.

Comme le Visiteur dans Teorema de Pasolini, Julien perturbe l’existence isolée de la famille de nouveaux riches slovènes, jusqu’à en faire exploser les failles. L’équipe des acteurs est formidable et le film, dont l’esthétique évoque Parasite, est prenant malgré quelques passages distendus ou confus. Les spectateurs ont interrogé Prosenc sur de nombreux choix narratifs ou cinématographiques : de la localisation de la maison ultramoderne et transparente où se déroule l’action (« Nous avons tourné dans trois maisons différentes dans la région frontalière entre l’Italie et la Slovénie ») jusqu’au rôle de la nature qui envahit cette bulle protectrice sous forme d’un chevreuil qui entre dans la maison (« Non, ce n’est pas une IA, c’est un vrai chevreuil que nous avons filmé »), en passant par le choix du frère de Nils Schneider pour le rôle de Julien. « On nous a proposé plusieurs frères Schneider, mais c’est Aliocha qui nous a immédiatement séduit », répond la réalisatrice avec humour.

La clôture documentaire qui claque

La dernière journée a été consacrée au film documentaire. Dans Femme de Dieu, la réalisatrice Maja Prettner suit Jana, une jeune pasteure courageuse et pleine d’esprit qui se confronte à ses démons – une agression sexuelle subie dans l’enfance, puis un cancer – tout en exerçant un métier qui la met face au déclin de la pratique religieuse, à la solitude des personnes âgées, à la précarité dans le monde rural de la région de Prekmurje. Rongée par le doute, démotivée par le manque de reconnaissance dans son travail, Jana démissionne pour se consacrer à sa santé et à sa famille. Le récit poignant et dur, relaté dans les stricts codes du cinéma documentaire, s’est prolongé dans un dialogue émouvant avec la réalisatrice après la projection. « Êtes-vous restée en contact avec elle ? Comment va-t-elle ? » demande un spectateur, exprimant le sentiment de tous. « Elle a vaincu son cancer, mais psychiquement, elle a encore du chemin à faire », répond Prettner pudiquement.

Changement de scène, mais pas forcément d’ambiance pour le film de clôture : La Montagne ne bougera pas de Petra Seliškar. Présenté aux Visions du Réel à Nyon, le documentaire suit une fratrie de bergers, âgés de huit à vingt ans, qui vivent en autarcie et s’occupent d’un troupeau de 600 moutons gardés par une meute de chiens de bergers de Šarplanina. La montagne au nord de la Macédoine où Seliškar et son équipe ont suivi les cinq frères Zekirov pendant plusieurs années est seulement à 40 km de Skopje, mais il faut huit heures pour s’y rendre. Autant dire que cet univers dans lequel les frères se penchent sur le sens de la vie dans un mélange de macédonien et d’albanais est coupé du monde. « J’ai voulu capter cette fratrie, cette existence et ce métier qui vont disparaître », Seliškar explique sa démarche lors de l’échange avec le public qui se poursuivra autour d’un verre d’amitié en présence de l’Ambassadrice de Slovénie qui clôturera officiellement cette seconde édition du Festival du film slovène à Paris. Nous nous réjouissons déjà de la troisième !