Le « duende » de Vicente Amigo à la Philharmonie de Paris

Le flamenco, comme un souvenir de passion amoureuse.

Parfois, la musique transcende  les mots dans sa capacité à exprimer des émotions, et c’est exactement ce qui s’est révélé lors du dernier concert donné par Vicente Amigo dans la grande salle de la Philharmonie de Paris. Ici, point de nécessité de chercher des mots justes pour traduire les sentiments ressentis, car ils sont insuffisants. Plus qu’un simple concert, c’est le souvenir flamboyant qu’a laissé l’artiste qui, en vérité, bouleverse. L’essence du flamenco, le fameux duende, mystiques vibrations émotionnelles qui jaillissent de l’âme de l’artiste,  entre la douleur et la beauté, est bien apparu ce soir du 14 septembre , dansant au milieu de la scène.  Une semaine après cette soirée envoûtante, l’empreinte qu’il laisse est romantique et flamboyante, aux couleurs du flamenco, oscillant entre le rouge ardent, le noir profond et l’orange vibrant. Les images se figent dans la mémoire : Vicente Amigo, entrant sur scène, sa guitare pour seule compagne. Avec délicatesse et puissance à la fois, comme lorsqu’on s’adresse à un être qu’on aime passionnément,  il parvient à faire chanter son instrument transportant instantanément le public dans un flot d’émotions.  Au-delà d’une technique époustouflante entre attaques percutantes, syncopes et couleurs d’accords parfois même très jazz, sa manière d’incarner le flamenco ne repose pas seulement sur une force brute ou un charisme imposant, à la différence d’autres musiciens, talentueux à leur manière, tels que Duquende ou, plus anciennement, José Mercé. Vicente Amigo, c’est le poète des cordes, celui qui effleure la guitare et la séduit avec des nuances délicates dans des tourbillons harmoniques, dont les mélodies s’élèvent subtilement, accompagnées des chœurs de Makarines Makario – la seule femme du groupe – et de José Ibanez Dias, s’élevant précisément au moment où l’oreille se laisse emporter et où le cœur commence à s’emballer. Hypnotique. Six musiciens sur scène, d’une élégance rare,  à la  sobriété au service de la musique uniquement, vêtus de noir et blanc, défiant tout artifice inutile, tout subterfuge commercial. Rien à ajouter, mais surtout rien à enlever, autrement dit, la perfection. Des rythmes endiablés avec les palmas mais aussi de la lenteur, tout en douceur . De l’intimité mais de l’universel. L’ensemble de la salle est unanime : applaudissements continus, le public est debout , frappant dans les mains, ne réalisant pas que ce rêve est terminé. Dernier rappel avec le sublime morceau Roma,  tiré de son album Tierra de 2013. Est-ce vraiment fini , non ? Car on en rêve encore, et pour longtemps, comme une transe sans fin.

« L’Ange du Flamenco »

Vicente Amigo, surnommé « l’Ange du Flamenco », est né dans la province de Séville, berceau de cette musique envoûtante. Il débute la guitare flamenca à l’âge de 8 ans, s’immergeant dans un apprentissage qui va bien au-delà de la technique. Dans cette quête artistique, il apprend l’humilité, la rigueur et le respect des grands maîtres, façonnant ainsi son identité musicale. Le flamenco est avant tout une philosophie de vie « Il ne s’apprend pas dans une académie, il se chante avec des fautes d’orthographe », assure Rancapino, un des derniers chanteurs gitans de la vieille école, camarade de Camaron De La Isla.  Vicente Amigo porte toute cette tradition.  Avec des collaborations de légendes comme Paco de Lucía et Camarón, il signe des albums marquants, tels que Ciudad de las Ideas ou  Paseo de Gracia, tout en s’illustrant aux côtés d’artistes variés comme Sting.  Sans se limiter à l’orthodoxie flamenca, il modernise le genre, y intégrant de nouvelles palettes harmoniques tout en restant fidèle à son essence. Son album Tierra, enregistré à Londres, et le plus récent Memorias de los Sentidos, qui lui a valu un Latin Grammy du meilleur album flamenco en 2017, témoignent de sa créativité et de son impact sur la scène mondiale. Peut-on véritablement cerner son talent ? Est-il possible de l’enseigner ? S’agit-il d’un don naturel, d’une grâce divine ? Apprendre le flamenco, est-ce similaire à apprendre à aimer ? Ces interrogations émergent inévitablement en découvrant l’univers de ce maestro andalou.  « Le flamenco, c’est le sel de la mer sur ma blessure, c’est impossible de le définir avec des mots », livrait l’artiste dans un entretien en 2017. Une affirmation qui résume la profondeur, la passion et la mystique qui imprègnent son art.

Vicente Amigo , guitare; Añil Fernández , guitare; Ewen Vernal , basse; Paquito Gonzáles , percussions; Makarines Makario et José Ibanez Diaz , chant, palmas. 

Visuel (c) Pochette d’album