Dans le cadre du Festival Les Singulier·es, Le Colonel des Zouaves d’Olivier Cadiot et de Ludovic Lagarde a repris vie au CENTQUATRE-PARIS. Cette pièce Cult, incarnée durant 25 ans par Laurent Poitrenaux, trouve un nouveau souffle grâce à Guillaume Costanza, dont l’interprétation minutieuse et hallucinée donne à voir toute la folie obsessionnelle du majordome Robinson.
La mise en scène, absolument réussie, incarne avec précision les délires de ce personnage à la fois serviteur et espion, persuadé que les conversations absurdes de ses maîtres sont en réalité des codes secrets. Guillaume Costanza, d’une précision chirurgicale, jongle avec une gestuelle rythmée, des mimiques millimétrées et un jeu de jambes hilarant qui accentue la dimension burlesque de ce monologue monomaniaque.
L’absurdité du langage et des codes sociaux est au cœur de la critique de cette pièce. Les jeux numériques appliqués à la voix renforcent cette impression de non-sens, amplifiant la dissonance entre la quête de perfection du majordome et la vacuité des discours qu’il analyse. Car Robinson, en serviteur absolu, veut tout savoir de ses maîtres : « Il faut tout savoir du client, jusqu’au dernier bouton : tendances, désirs, potentiel de modification des goûts, courbe des envies et des satisfactions ».
Convaincu d’avoir une mission, il cherche à « sauver cette famille d’une déroute inéluctable ». Son imagination est sans fin, tout comme son exigence de perfection. Lorsqu’il tente d’interpréter chaque signal, le spectateur oscille entre rire et vertige : « Elle m’a fait un clin d’œil, c’est le signal », « Elle est dans mon camp, je vais la sauver ». Peu à peu, son obsession se mue en paranoïa, jusqu’à la figure fantasmagorique du Colonel : « Mais si c’était lui ? L’invité inconnu ? Le colonel ! Mais c’est lui ! ». Cette figure absurde et insaisissable rappelle La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco, où la vacuité du langage et la déconstruction des repères narratifs plongent les personnages dans un dialogue insensé et cyclique, sans échappatoire possible.
La mise en scène exploite chaque mouvement avec une précision d’orfèvre : chaque geste, chaque intonation est pesée, découpée, rejouée à l’infini, dans une frénésie épuisante qui confine à l’auto-exploitation. Ainsi, l’absurde culmine lorsque Robinson transforme en ritournelles les dialogues creux de ses maîtres, soulignant la vanité du pouvoir et l’absurdité des convenances sociales.
Par son intelligence du rythme et de la diction, Guillaume Costanza offre une performance magistrale, servie par une création sonore de Johana Beaussard et une mise en scène de Ludovic Lagarde, qui souligne le vertige d’une langue à la fois burlesque et critique. Avec Le colonel des Zouaves, Olivier Cadiot a composé un texte d’une dextérité rare, faisant de ce monologue une œuvre aussi jubilatoire qu’inquiétante. Un moment de théâtre d’une belle intensité, où le spectateur oscille entre fascination et effroi face à ce majordome aussi absurde qu’inoubliable.
Visuel : © Simon Gosselin