Dans le bonheur est une bête sauvage, le second long-métrage de Bertrand Guerry, sur l’île d’Yeu Jeanne a perdu son mari et sa belle-sœur au cours d’un naufrage. À la suite de cela, elle décide de vivre en autarcie dans les bois, isolée de toustes où tout le monde la voit comme une folle, excepté son neveu qui rêve d’être acteur et aime se confier à elle. Son monde est chamboulé quand elle retrouve la peau d’ours de son défunt mari.
Dans Le Bonheur est une bête sauvage, Bertrand Guerry nous invite à entrer dans le monde intérieur de Jeanne, un territoire intime et singulier façonné par le deuil. Porté par Jeanne et Tom incarné.es par Sophie Davout et Sacha Guerry, le film explore avec délicatesse deux trajectoires : celle de Jeanne, encore hantée par la mort de son mari dix ans après, et celle de Tom, un jeune homme qui tente d’aller de l’avant en passant une audition pour devenir acteur à Paris.
Deux univers, deux personnages que tout semble opposer. Jeanne, couverte d’une peau d’ours, erre sur son île comme si elle portait physiquement le poids de son chagrin. Elle est de celles qui respirent sous l’eau, mais suffoquent sur terre. Tom, lui, essaie de l’amener à refaire surface, à reconnecter avec le monde réel.
Bertrand Guerry fait ici un choix audacieux : questionner le deuil et notre rapport à la mort, non pas en termes de fin ou d’acceptation, mais à travers ce qu’il reste en suspens — ce qu’on ne parvient pas à digérer, à nommer, à dépasser. Jeanne se croit heureuse dans ce monde qu’elle s’est construite, loin de la réalité, protégé, figé. Une bulle, une légende, une peau d’ours.
Le film célèbre l’île d’Yeu, magnifiée par des plans somptueux : ciels étoilés, pleines lunes, plages désertes… Le décor devient le royaume de Jeanne, un territoire mental entre naufrage et refuge. Au sud, chez elle ; au nord, chez Jan : l’île devient une carte mentale où les lieux sont chargés d’affects. Elle est aussi un personnage à part entière, la deuxième île la plus éloignée de France après la Corse, un bout du monde, un monde à part.
Les plans américains donnent aux scènes nocturnes une clarté presque magique. Malgré son thème dur, le film reste étonnamment léger, drôle, et profondément musical. La bande-son, très présente, ne souligne pas les émotions mais incarne les univers intérieurs des personnages. Par moments, elle évoque le western, introduisant une touche grotesque, presque burlesque.
Le Bonheur est une bête sauvage se construit comme un conte moderne, une légende douce-amère. Entre la fable et le réalisme poétique, Bertrand Guerry tisse une histoire familiale touchante, portée par des images puissantes et une narration sensible. Un film qui nous emmène au cœur du deuil, sans jamais sombrer dans le pathos, et qui trouve dans l’imaginaire et la musique une voie vers la lumière.
Au cinéma le 2 juillet 2025
© DR