L’auto-défense féministe, une forme de soin

L’autodéfense féministe est centrée sur la défense psychique et verbale

Comment se protéger et protéger les siens des violences sexistes et sexuelles ? Comment prendre soin de son entourage en prenant en compte les besoins et positions de chacun.e ? Pour répondre à ces questions, des militantes féministes qui ont cherché à développer des tactiques de résistance au viol et aux violences sexuelles ont développé l’auto-défense féministe, une discipline qui se situe au croisement des théories féministes de la violence et de la pratique du self-défense. L’auto-défense féministe n’est pas centrée sur la défense physique, mais sur la défense psychique et verbale. Cette tactique de résistance a été diffusée par des activistes féministes, qui ont cherché à trouver des moyens de se défendre sans se reposer sur l’aide de l’Etat. Une diversité de tactiques est nécessaire car les violences sexistes et sexuelles prennent aujourd’hui une trop grande place dans la vie d’une majeure partie de la population. Il est donc important de souligner que l’auto-défense est une tactique parmi un grand nombre de tactiques pour résister et prévenir ces violences.

A quoi ressemblent les stages d’auto-défense féministe ?

Au sein des stages d’auto-défense féministe, on apprend à résister aux violences sexistes et sexuelles. D’abord et avant tout, on apprend qu’on a le droit de se défendre. D’après Mathilde Blézat, autrice du livre Pour l’autodéfense féministe, « La première étape est de s’autoriser à se défendre, de se dire que l’on en est capable, ce qui passe d’abord par une autodéfense mentale et verbale ». L’auto-défense féministe sert à augmenter sa confiance en soi, poser ses limites et repérer les situations qui peuvent devenir dangereuses. On apprend à se défendre physiquement, à crier de pleine voix, à être assertive et ferme. Des participant.es partagent leur histoire et décrivent comment les stages les ont aidé.e.s dans des situations dangereuses. Nadège raconte : « Un collègue me harcelait sexuellement au travail. Un jour il m’a fait une clé de bras et m’a forcée à aller dans une pièce isolée. Je me suis rappelé une phrase dite dans un stage de self-défense : « Quelles parties de mon corps puis-je utiliser ? Quelles parties de mon corps sont accessibles ? » J’ai utilisé mon autre main pour le griffer au visage de toutes mes forces. Il m’a lâchée et il avait même des taches de sang sur son tee-shirt. Ma défense a arrêté son attaque ».

Être créati.f.ve dans des situations stressantes.

Des mouvements de défense physique basiques sont enseignés, on apprend à être créati.f.ve dans des situations stressantes. Par exemple, certain.es formateurices apprennent aux participant.es à utiliser leurs cannes blanches ou leurs fauteuils roulants comme moyen de défense. Néanmoins, d’après Irene Zeilinger, autrice du Petit manuel d’autodéfense à l’usage de toutes les femmes qui en ont marre de se faire emmerder sans rien dire, « l’auto-défense féministe se focalise sur la manière de mettre un terme aux différentes formes de violence le plus tôt possible » (Irene Zeilinger dans NON C’EST NON). Le recours à la violence est donc la dernière option d’après les formateurices.

Les stages permettent des discussions importantes où les mythes et les tabous des violences sexistes et sexuelles sont écartés, pour parler de la réalité de ces violences. D’après Mathilde Blézat, « 91% des personnes qui nous agressent sont des hommes que nous connaissons (…), c’est pourquoi les pratiques d’autodéfense qui s’adressent aux femmes et qui continuent de véhiculer cette image du violeur, jeune, non blanc, la nuit, ne sont pas adéquates (…) » . Les stages et leur contenu sont basés sur une analyse structurelle de notre société et sur les mécanismes de violence qui y opèrent. Concrètement, certains stages cernent directement les inégalités et les oppressions qui en découlent, comme le montre le guide pour femmes avec un handicap No means No !  : « La plupart des gens sans handicap ont plus de pouvoir et de possibilités que les gens avec un handicap (…) Parfois, des personnes en position de pouvoir abusent de ce pouvoir : les docteurs, les travailleurs sociaux, les soignants, les officiers, les propriétaires, la police et les agents de sécurité ». Par exemple, on peut relever la mobilisation contre les violences obstétricales et gynécologiques qui a permis de créer le hashtag #PayeTonUtérus en 2014. Il est donc important de savoir reconnaître les situations anormales et savoir se défendre. On ne met jamais la faute sur la personne victime de violence, mais on lui donne des techniques pour résister aux violences, les repérer et les dénoncer.

Pourquoi l’auto-défense est-elle une forme de soin ?

L’auto-défense féministe découle de l’éthique du care, qui centre nos pratiques politiques et personnelles sur l’empathie, l’écoute et l’aide mutuelle. Selon Mathilde Blézat : « Les stages peuvent être proposés en langue des signes, ou pour les femmes en fauteuil roulant ». Et les besoins de chacun.es sont pris en compte, les programmes sont adaptés : on retrouve des programmes pour les femmes handicapées, les personnes LGBT, les personnes migrantes, les femmes racisées, les adolescent.es. Ce sont aussi des connaissances précieuses qui ont des effets conséquents sur la vie des participant.es. « Même si mes genoux tremblaient après coup, je me sentais bien parce que j’ai réussi à me battre pour moi et ma dignité », témoigne Céline, qui a réussi à se sortir d’une situation inconfortable. C’est un moment de partage, d’écoute, qui brise l’isolement face aux violence sexistes et sexuelles. L’auto-défense féministe se construit autour du partage et de l’interdépendance : j’ai besoin de toi et tu as besoin de moi pour pouvoir avancer. Prendre soin de soi et prendre soin des autres relève d’une nécessité politique, une tactique de survie contre un système violent. « Prendre soin de soi n’est pas un acte de complaisance, c’est un acte de préservation, un acte de résistance politique » écrit Audre Lorde, écrivaine et poétesse afro-américaine lesbienne et handicapée, incontournable figure de l’intersectionnalité aux États-Unis. L’auto-défense comme soin de soi et de son entourage est une tactique porteuse d’espoir.