Le musée national Picasso-Paris propose jusqu’au 25 mai 2025 l’exposition l’Art dégénéré. Elle relate le procès de l’art moderne sous le nazisme. Dénigrement, confiscations, expulsions, destructions, de 1933 à 1945, l’attaque frontale contre l’Art moderne a été au cœur de l’idéologie du régime.
«Il y a beaucoup de visages fermés et on sent aussi beaucoup d’opposition, les gens ne disent presque rien». Hannah Höch, une artiste dadaïste, est allée à l’exposition organisée à Munich en 1937 pour ridiculiser l’art moderne. Deux millions de visiteurs sont venus en quatre mois, mais si certains devaient adhérer aux conceptions nazies, d’autres, comme Hannah Höch, étaient peut-être venus admirer une dernière fois des œuvres vouées à disparaître. Cette exposition infamante n’était pas isolée: dès 1933 les musées étaient vidés, leurs directeurs progressistes révoqués. Vingt milles œuvres seront vendues ou détruites. Une exposition itinérante dans toute l’Allemagne sera chargée d’amplifier le dénigrement, le rejet de l’art moderne.
Pablo Picasso était l’archétype de « l’artiste dégénéré » et avec Guernica peint la même année, il devint aussi un symbole de la résistance au fascisme. Le Musée national Picasso-Paris paraît donc bien placé pour raconter cette histoire édifiante. Le projet était porté depuis trois ans par la directrice du musée Cécile Debray, il a été rendu possible par le travail « d’archéologue » du commissaire Johan Popelard. L’exposition comporte six salles avec, dans chacune, une thématique bien identifiée. Elle est didactique avec des explications historiques claires et une grande fresque chronologique. Les œuvres sont bien mises en valeur, les conditions sont idéales pour aborder cette page sombre de l’histoire de l’art.
La salle d’introduction à l’exposition est très réussie. Le visiteur arrive face à un mur mémoriel où sont inscrits les noms de plus de 1400 artistes ayant souffert de la politique culturelle du régime hitlérien. Il découvre en même temps quatre fragments de sculptures endommagées par les bombardements de Berlin en 1944 et retrouvées en 2010 lors de travaux pour le métro berlinois. Un beau symbole de l’art brisé par la folie destructrice du totalitarisme et de la guerre. Puis le visiteur est plongé dans l’atmosphère de l’exposition de Munich. Des films de propagande nazie sont projetés avec leur esthétique grandiloquente et les grandes parades évoquant une liturgie satanique. Tout autour, des chefs d’œuvres très divers qui étaient exposés à Munich en 1937. Il faut dire que le concept d’« Art dégénéré » était très vaste, tous les styles étaient concernés. On remarquera ainsi deux tableaux cubistes célèbres : Kreuzform de Vassily Kandinsky et Sumpflegende de Paul Klee. La troisième salle est consacrée au concept de dégénérescence, une dégénérescence qui conduirait à l’aliénation mentale. L’art moderne en serait le vecteur et le symptôme. De nombreux artistes étaient considérés comme fous, comme Vincent Van Gogh dont l’Arlésienne a ainsi toute sa place dans l’exposition. Dans ce contexte de haine des plus faibles, le tableau de Jean François Raffaëlli, Les vieux convalescents nous ramène à la misère humaine. Les blessés paraissent errer tristement dans le jardin de l’hospice sous une lumière blafarde. Le vieillard au premier plan reste assis sur son banc, figé, le regard vide. La salle consacrée au racisme et à l’antisémitisme honore la figure d’Otto Freundlich, exilé en France, interné au début de la guerre, dénoncé, mort en déportation en 1943. Sa correspondance avec sa femme et avec Picasso est exposée au centre de la sale. Son tableau Hommage aux peuples de couleur apparaît comme un acte de résistance. L’œuvre est totalement abstraite, des formes géométriques simples s’emboîtent dans un savant dégradé de couleurs. Mais « les œuvres dégénérées » pouvaient encore être utiles ! En Juillet 1939 fut organisée la vente à Lucerne de 125 tableaux dont La Famille Soler, un tableau de grande taille de la période bleue de Picasso qui clôt l’exposition. L’œuvre sera achetée par la ville de Liège
Alors qu’avant 1933 l’art moderne était très dynamique en Allemagne, les artistes allemands ont été lourdement impactés par la politique culturelle des nazis. Beaucoup ont été considérés comme des « artistes dégénérés », ce qui explique leur importante représentation dans l’exposition. Certains sont peu connus en France et c’est l’un des mérites de l’exposition de nous les faire découvrir. Metropolis de George Grosz (1917) est une peinture futuriste incroyablement imaginative. Dans la grande ville, la vie est désordonnée, foisonnante. Une agitation qui ne pouvait convenir aux censeurs… Le visiteur pourra découvrir la Nature morte avec masque d’Ernst Ludwig Kirchner (1919), un pionnier de l’expressionnisme allemand. Le bouquet est généreux, les couleurs des fleurs très belles, le rose du masque apaisant. La forme du masque évoque un masque africain et les nazis détestaient les influences africaines dans l’art… Il suffisait de peu….Karl Hofer, un peintre respecté, anti nazi convaincu fut aussi considéré comme « dégénéré ». Sa peinture, les Apôtres endormis est touchante. Au coucher du soleil,sur une petite colline, trois hommes se serrent l’un contre l’autre, paraissant s’être abandonnés, confiants, dans le sommeil. La sculpture sur bois Le Vengeur, d’Ernst Barlach est impressionnante. L’homme prend son élan, il va frapper. Il ressort de l’œuvre à la fois une sensation de mouvement et de puissance étonnante.
« L’art dégénéré » est une exposition à ne pas manquer. Pour la beauté des œuvres, pour sa valeur historique, pour l’évidence de son message anti-totalitaire.
L’Art dégénéré. Le procès de l’art moderne sous le nazisme, Musée National Picasso, 5 rue de Thorigny 75003 paris
Visuel © : Estate of George Grosz, Princeton NJ / Adagp, Paris 2024 : Metropolis, Museo Nacional Thyssen Bornemisza, Madrid