La ville lorraine de Pont-à-Mousson se pare à nouveau des couleurs de la Mousson d’été. Né en 1995, cet événement propose pour son trentième anniversaire un focus sur les écritures néerlandaises. Signe des temps, les textes sélectionnés analysent, avec malice ou gravité, la résurgence des idées fascistes. A moins que ces dernières n’aient, tout bêtement, jamais véritablement disparu ? C’est la thèse proposée par Marius von Mayenburg dans Nocturne.
Créée en 1995 pour défendre et mettre en valeur les écritures théâtrales, la Mousson d’été s’est développée avec le temps, jusqu’à nouer des partenariats internationaux pour valoriser l’ensemble du théâtre européen, sinon international. Les matinées du rendez-vous estival sont consacrées à des lectures et analyses de textes menées par Jean-Pierre Ryngaert, Joseph Danan, Pascale Henry et Nathalie Fillion.
De 14h jusqu’au début de la nuit s’enchaînent les lectures. Ainsi de Pâte molle, de l’autrice néerlandaise Sophie Kassies, fondé sur un agôn entre une mère – morte ou mourante – et son fils. Ce dernier, lui reproche la première, a « la fesse molle ». D’ailleurs, tout en lui est mou : il ne transpire plus qu’à la salle de sport et – ô scandale ! – n’aspire qu’à la « normalité ». Kézako ? Le fils répond qu’une telle recherche d’originalité sent très fort celle de la « surhumanité ». Si cette pièce accorde, grâce aux outrances langagières de la mère, une large place au rire, le fond du débat reste assez convenu. La direction de Pascale Henry et le jeu de Flore Lefèbvre des Noëttes, à qui Charles Zévaco donnait la réplique, rendant toutefois grâce à la dimension humoristique du texte.
Les relations intrafamiliales sont également étudiées dans Le Papa, la maman et le nazi, de l’auteur belge (de langue flamande) Bruno Mistiaen. Un adolescent d’aujourd’hui, mal dans sa peau, découvre le nazisme et le pouvoir qu’il lui offre pour régner désormais en maître sur la cour de récréation. Ce travail sur les tentations fascisantes des laissé·es pour compte, notamment à l’âge des premiers boutons, avait déjà été exploré par le film La Vague, dont Marion Conejero avait tiré l’an dernier une adaptation théâtrale. La pièce de Bruno Mistiaen se concentre davantage sur les réactions des parents, démuni·es face à l’évolution inattendu de leur fils.
C’est toutefois Nocturne, de Marius von Mayenburg, qui explore avec le plus de singularité la résurgence du fascisme. L’argument en est simple. Un frère et une sœur découvrent, dans le grenier de leur père fraîchement décédé, un tableau un rien kitsch, mais à la signature, sinon prestigieuse, du moins célèbre : A. Hitler. Évidemment, tout le monde sait que le nazi en chef se piquait de peindre, mais qui a déjà vu l’une de ses toiles ?
Les héritier·es dégottent une spécialiste, dont l’intérêt pour le peintre ne semble pas totalement disjointe de sa fascination pour l’homme politique. Et iels se mettent à rêver des zéros du chèque. Seule Judith, la femme, juive, du frère, ose demander s’il est vraiment moral que de faire de l’argent avec une toile pareille. A travers des personnages fortement individualisés, des situations tour à tour complexes et burlesques et une écriture d’une grande précision, Marius von Mayenburg lève le masque des hypocrites du temps présent. Et prouve que l’on peut toujours faire du théâtre satirique de qualité, à la fois drôle et intelligent.
C’est là le titre du cabaret mené par Corrine et Lalla Morte : « Et l’amour dans tout ça ? » Pour adoucir les mœurs, la Mousson d’été propose en effet le soir des cabarets et/ou des DJ sets animés par Corrine, personnage drag de Sébastien Vion. Au menu, des indémodables de la chanson française qui, tous, chantent et pleurent les heurs et les peurs de l’amour. Le public est, bien entendu, invité à les entonner à son tour. Sans compter les tours de la fakiresse Lalla Morte et les chants de Céline Milliat-Baumgartner et et Astrid Bayiha.
Cette pause enjouée était annoncée par les pièces explorant le sentiment amoureux, comme L’Inconstance du cosmos, de l’autrice française Marie Lacroix, qui met en scène un homme et une femme discutant de leur rencontre – iels n’en ont pas gardé les mêmes souvenirs ! – et de ce qui les lie – visiblement pas la même chose. Cette confrontation entre deux points de vue divergents, le romantique et la pragmatique, est écrite et jouée avec force humour.
Une belle Mousson que la récolte de l’été 2025, où les rires et les chansons n’empêchent nullement l’attention aux enjeux du temps présent.
La Mousson d’été – direction Véronique Bellegarde. A l’Abbaye des Prémontrés du 21 au 27 août 2025.
Visuel : © Boris Didym