C’est un musée qui voyage d’une chambre à l’autre, embarqué sur un chariot d’hôpital … Nous l’avons vu à Sainte-Anne où les enfants hospitalisés en pédopsychiatrie, leur famille et les soignants en bénéficient actuellement.
C’est un musée miniature que les soignants font circuler d’une chambre l’autre. Fermé, ce cube bleu outremer griffé de vagues et très joliment peaufiné ne laisse rien deviner de ses secrets. Mais quand il s’ouvre c’est un effet de magie. Car ce cabinet de curiosités des temps modernes délivre en manœuvrant ses glissières secrètes des tableaux, des photos, des sculptures, des vidéos, des éprouvettes de couleur pure… C’est la version miniature et portative de la Mer imaginaire, exposition réalisée en 2021 par l’Américain Chris Sharp à la Villa Carmignac de Porquerolles.
La démarche, durable, propose à un public moins sensibilisé à l’art contemporain une version remodelée, compacte, de l’exposition initiale. « Tout le monde ne peut aller à Porquerolles « explique Charles Carmignac, le directeur de la Fondation qui a sollicité pour ce projet le scénographe Stéphane Zimmerli (un acolyte rencontré dans une vie antérieure au sein du groupe Moriarty). Avec l’idée de transmettre l’impression d’un parcours sous-marin évoluant dans les profondeurs.
La boite se présente fermée. Avant de l’ouvrir une question est posée, on demande au public (en général deux ou trois personnes dans une chambre), ce qu’elles imaginent autour de ce titre mystérieux de Mer imaginaire… Ouverte, la boite libère deux photos très connues de Jean Painlevé, le Buste de l’hippocampe (1931) et la Pince de homard (1929). Anthropomorphisme des animaux marins, poésie mais aussi menace des fonds sous-marins, les images suscitent fantasmes et questions. Une vidéo du cinéaste japonais Shimabuku met en scène un hippocampe géant au corps souple comme une algue qui se balance au rythme des vagues, brouillant les frontières entre animal et végétal.
L’imaginaire marin se déploie ensuite dans une création de Barcelò, un panneau de bois gravé porte la trace du Ressac après un raz-de-marée. C’est une version minimale de l’installation originale installée en 2021 à la Villa Carmignac. Sur un étage entier se déployaient des objets multiples englués de boue ocre. Forcément limité ici, le Ressac montre une belle ambiguïté car selon l’angle de vue, on y voit abandonnés par le flot sur le rivage des poissons ou un squelette humain décharné.
Une sculpture représentant une main humaine agrippant une ammonite questionne la suprématie humaine. Tout est finalement soumis à une même cristallisation. Dessous un aquarium virtuel très coloré montre des poissons Glow, clonés à l’aide d’un gène de méduse qui les rend phosphorescents. C’est ce qui fascine le plus les enfants hospitalisés, comme si la question du semblant restait finalement essentielle pour eux. En finale, un jeu associatif est proposé à partir de propositions poétiques de l’artiste Horovitz.
La boite bleue est un objet multi-sensoriel. Sollicitant bien sûr le regard (les œuvres animales semblant regarder aussi le spectateur), l’ouïe (un enregistrement sous-marin se diffuse réalisé par Michel Redolfi) mais aussi tactile. Car les participants peuvent se saisir de certains moulages, manipuler certaines œuvres. Une sorte de « prière de toucher » donc, toucher un faux fossile qu’empaume amoureusement une main de plâtre (Julien Discrit), toucher une éprouvette emplie du fameux bleu Klein, toucher une larme de verre dont chaque participant pourra même garder un tirage (Le GHU a financé 500 larmes !). Une sorte de calot surréaliste comme mémoire du moment. Une approche moins intimidante de l’expérience artistique, corporelle aussi.
Bien sûr l’art est présent depuis longtemps à l’hôpital sous forme d’ateliers, de performances. Mais là il s’agit de faire entrer l’extérieur et que le musée se rapproche. Une idée qui a pris d’ailleurs une valeur particulière en contrepoint de la fermeture des services durant le confinement.
Cette première réalisation, testée et validée dans l’unité de pédopsychiatrie du Groupe hospitalo-universitaire Sainte-Anne, auprès d’enfants hospitalisés, est un support de médiation que les soignants peuvent utiliser auprès d’un petit groupe de patients comme une greffe d’imaginaire. L’objet doit fonctionner comme les khamishibai, ces théâtres de papier des enfants japonais qui sont un support pour parler, raconter des histoires. Un livret de médiation et une formation accompagnent d’ailleurs l’arrivée du mini-musée.
Testé durant plusieurs mois dans le service dirigé par les docteurs Mathias Gorog et Laurène Egger le musée suscite la curiosité des patients qui souvent demandent une nouvelle session et veulent le revoir. Il est pensé pour voyager ensuite dans d’autres services hospitaliers, mais aussi des écoles ou des prisons.
Pour en savoir plus :
www. Fondationcarmignac.com et www.ghu-paris.fr
Visuel :©Photo Thibaut Chapoto- Fondation Carmignac