Dans cette rencontre avec la pianiste suisse Beatrice Berrut, pour son nouvel album qui paraît le 28 février 2025 chez La Dolce Volta : Abracadabra, venez retrouver une belle magie qui donne du pouvoir, de l’espoir et une « une étincelle de fête ».
J’ai été un peu contrainte par le répertoire que j’avais à disposition, parce que je ne voulais pas faire un disque uniquement de mes propres compositions, et du coup j’ai fait des recherches qui avaient écrit sur la magie, sur la sorcellerie, et puis je me suis retrouvée assez rapidement avec le répertoire que je propose dans cet album, à savoir L’Oiseau de Feu de Stravinsky, La Belle aux bois dormant de Tchaïkovski, La Danse Macabre de Saint-Saëns, c’est une thématique très proche, celle des revenants et des morts, mais traitée avec beaucoup d’ironie et de malice, donc je voulais rester aussi dans un programme qui était festif. Je ne voulais pas faire un disque qui déprime, je voulais faire un disque qui fasse rêver, qui soit un petit pied de nez au monde actuel hyper noir dans lequel on vit. C’est un programme qui est plus léger, enfin, qui a une tonalité plus festive, disons, que la musique que j’ai enregistrée jusqu’à maintenant. Et par contre, je voulais que ce soit alors un programme porteur d’espoir, d’une étincelle de fête, mais aussi qui mette un peu en valeur l’ambiguïté de la magie qui est évidemment une allégorie du pouvoir. De se retrouver face à cette mise en questionnement de ces valeurs morales et éthiques permanentes du fait qu’on détient un outil aussi puissant entre les mains. Et voilà, c’était une manière un peu artistique de questionner notre 21e siècle et les choix d’avenir qu’on veut faire pour continuer de vivre tous ensemble sur une planète qui, j’espère, survivra à nos assauts.
Je les ai créées il y a déjà deux ou trois ans, ce sont des œuvres qui m’accompagnent depuis assez longtemps, que j’ai composées aussi sur une assez longue période, et c’était pour moi une volonté de réhabiliter, si on veut, les femmes dans les contes de fées, parce que moi j’ai grandi en regardant les Walt Disney, avant Mulan et tous ces personnages féminins qui sont très forts et très puissants, mais les Walt Disney que moi je regardais à l’époque, eh bien, c’était des femmes qui étaient présentées comme très passives ou très malveillantes, entre les fées et puis les marâtres, j’avais envie de briser ça et puis de proposer des portraits féminins inspirants, beaux, forts, et ouais, j’ai l’impression que, enfin, une des choses qui peut aider la cause des femmes, c’est de leur permettre de croire en elles, en fait. On est notre propre première barrière à l’épanouissement, de penser qu’en étant femme, là, c’est forcément en musique classique, il y a peu de modèles féminins d’envergure, il y a peu de compositrices très importantes, et ouais, j’espère vraiment que le XXIe siècle era suite à l’exploration de la psyché féminine et de sa créativité.
Oui, bien sûr ! Dans ma pièce, ce que je voulais dire, c’était parler d’une femme considérée comme dangereuse par les hommes. La sirène, c’est une figure inquiétante, et je pense que les femmes ont souvent été, inquiétantes pour les hommes, parce que justement, elles ont des émotions extrêmement fortes, des humeurs qui peuvent être aussi très mouvantes, et au lieu de traiter ça comme un défaut, ou comme contraire à la rationalité, qui est érigée quand même en valeur cardinale, ce qui est tout à fait discutable aussi, eh bien, je voulais que ça devienne une qualité, que ça devienne un moteur pour créer, que ça devienne quelque chose de positif.
Transcrire, c’est quand même partir d’une œuvre existante, comprendre les lignes directrices. Après ça, c’est un choix artistique qu’on fait suivant les œuvres qu’on transcrit, la fidélité à la pièce d’origine qu’on veut conserver ou pas. Mais il y a un canevas, si on veut bien, alors que composer, c’est vraiment partir d’une page blanche. Ça laisse beaucoup plus de liberté, mais ça impose de prendre aussi beaucoup plus de décisions cruciales, en fait, si on veut. Pour moi, transcrire, c’était une très bonne école pour entraîner ma plume d’écriture pianistique. Je n’ai fait beaucoup de transcription et j’avais toujours en ligne de mire de composer mes propres œuvres et puis d’avoir mon langage pianistique écrit. Que je puisse l’utiliser après pour parler de mes propres histoires ou des histoires que j’avais envie de raconter.
Je trouvais qu’il était intéressant d’offrir aussi un panel de différents transcripteurs, de voir à quel point c’était différent de transcrire une pièce de Saint-Saëns du Sacre du Printemps de Stravinsky. C’est deux mondes totalement différents. C’est des choix différents qui ont l’être du fait. En l’occurrence, Liszt a vraiment pris des libertés avec la structure de la danse macabre. Pabst a écrit une paraphrase, donc il a pris les plus beaux thèmes et puis il les a liés les uns avec les autres. Donc, c’est des exercices un petit peu différents les uns des autres. Et je trouvais que c’était intéressant d’avoir plusieurs éclairages sur ce qu’on appelle transcription.
Effectivement, c’est de la musique à programme, donc forcément cinématographique. C’est de la musique qui raconte une histoire, qui présente des personnages. Alors sur scène, moi, j’ai évidemment pas beaucoup de recul sur la manière dont c’est perçu de la salle. Mais je pense qu’effectivement, c’est toute la musique qui a été composée directement pour le film, comme Harry Potter ou Merlin l’enchanteur. C’est toute la musique qui a vocation à raconter des histoires et à créer des images dans l’imaginaire des auditeurs.
Mon rapport à moi est très fort parce que j’ai fait une formation de compositrice de musique de film aux États-Unis. C’est le Covid, en fait, cette pause imposée qui m’a permis de me lancer là-dedans. En fait, vraiment, la musique de film, c’est quelque chose qui m’inspire. John Williams fait partie des figures un peu tutélaires de mon panthéon. Et je trouve que, au fait, la musique de film, c’est aussi un moyen absolument incroyable de démocratiser la musique classique qui s’est un petit peu enfermée dans sa tour d’ivoire ces dernières décennies, qui perd gentiment en public, en subvention. Donc, en fait, la musique de film, c’est vraiment un lien direct avec une masse de gens qui va l’écouter sans a priori, sans se dire « Oh mon Dieu, c’est de la musique classique, je ne vais rien comprendre ». Non, c’est de la musique de film, c’est de la musique qui raconte l’histoire qu’on est en train de voir. Donc, les clés de lecture sont immédiatement à l’écran. Et en fait, je pensais que c’était un super biais pour atteindre beaucoup de gens.
Une partie de ma démarche, c’est justement le répertoire, de proposer des répertoires sur lesquels on peut raconter des histoires, avec lesquels on peut facilement attiser la curiosité et l’imaginaire, des gens. Au Festival Les ondes, que j’ai créé, j’ai voulu m’inspirer des festivals de rock que j’aime, comme le Paléo Festival à Nyon, par exemple. J’ai voulu en faire une expérience immersive, inviter les gens à venir passer le week-end avec nous, créer une communauté autour de la musique. Pour ça, on a délocalisé le festival, on l’a amené dans un endroit en pleine nature, et les concerts ont lieu à l’intérieur, dans un pavillon tout en bois magnifique. Mais autour, on a construit des tentes, où il y a un bar, il y a des offres gastronomiques, et en fait, ça pousse les gens à rester sur le site et à discuter. Et je pense qu’une des choses très importantes, c’est que la musique entre dans les discussions, parce que c’est autour de ça, de l’échange d’idées, l’échange d’expériences, qu’on commence à avoir des valeurs communes, à créer une communauté, à créer des expériences communes, des vécus communs. Et je crois que c’est ça, en fait qui manque un peu à la musique classique, c’est un pouvoir de rassemblement. Et j’espérais attirer les gens à mon festival, avec la gastronomie, la boisson.
Le festival Les Ondes se passe à Monthey, dans le canton du Valais, dans les Alpes suisses. Et la prochaine édition est du 6 au 8 juin.
Beatrice Berrut, Abracadabra, La Dolce Volta, 60’38 min, sortie le 28/02/2024. 20 euros.
visuel (c) couverture de l’album