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La Discult, ép. 11 : Festival REGARDS SATELLITES avec Laurent Callonnec

par Yaël Hirsch
05.12.2024

Aujourd’hui dans la DisCult, nous avons le plaisir de rencontrer Laurent Callonnec, directeur artistique du mythique cinéma l’Écran à Saint-Denis et du festival REGARDS SATELLITES. Le festival va courir du 29 janvier au 9 février 2025 ; puis, du 3 au 6 avril 2025, il invitera, en terre francilienne, le Brésil et sa scène cinématographique indépendantes. Ce sera alors uniquement en salle !

Focus donc sur ce REGARD SATELLITE, 3è édition en 2025 ; et sur Laurent Callonnec avec son expérience au sein des salles avec ses plus de vingt ans en tant qu’organisateur de festivals et ses ambitions (montrer les cinémas indépendants, les cinémas sujets et acteurs de cet endroit précis qu’il évoque, qui font placent ces production «  en marge » ; explication et plan large sur les toiles de l’Écran).

Bonjour Laurent, pour commencer simplement, pourquoi le festival s’appelle-t-il REGARDS SATELLITES ?

 

Le festival est né d’un dialogue qui date de 2023 et que l’on avait depuis les années 2000 – donc une vingtaine d’années – avec nos :  « Journées Cinématographiques ». Le point de départ était un thème. Depuis ce thème, les explorations cinématographiques étaient ouvertes. Nous avons toujours été sur des thématiques engagées, politiques… On cherchait des visions engagées de la société, par le prisme du cinéma. Bref, au bout de 23 ans, on avait épuisé ce processus, la recherche d’une thématique était devenue mécanique – J’ai eu envie d’engager, avec mon équipe, une nouvelle impulsion plus collective.

 

 

 

C’est-à-dire ?

 

Et bien REGARDS SATELLITES. C’est-à-dire faire se rencontrer différentes approches du cinéma, dans un même moment, plutôt que de partir d’une thématique, dans laquelle il faudrait absolument entrer.

 

Vous mettez en avant une vision assez… « géographique », du paysage cinématographique. Les « espaces périphériques » à contrario les « centres de pouvoir », c’est très terrestre ?

 

C’est l’idée, un peu poétique, que ce sont aussi, les satellites qui aident un monde à se construire. Les phénomènes comme la gravité, le concept de périphérie -, d’avoir ce regard de côté vers le centre et non pas le regard du centre (surpuissant) vers les périphéries. Mettre au cœur de notre nouvelle impulsion l’idée que les regards périphériques, « en marge », sont, une condition primordiale pour que ce « centre » puisse exister.
La périphérie, c’est aussi, tout bêtement, l’invitation faite à des cinémas, des visions du monde qui sont justement dans cette marge d’analyse.

 

Du coup, quand vous vous mettez à la programmation de ces visons satellitaires pour reprendre vos mots, vous en choisissez combien ? Quatre, cinq… Il y a un nombre arrêté ? Un écho entre les œuvres choisies ?

 

On travaille réellement en équipe. Il n’y a pas un directeur artistique qui décide de tout ou un seul programmateur. Nous avons divers partenaires de programmation ; ce sont des discussions. Bien sûr on a un axe principal : montrer des visions indépendantes du cinéma – non dominantes. En d’autres termes, on laisse place à des cinémas qui sont dans la recherche de nouvelles approches de sujets tels que l’inclusivité, la parité, la réflexion décoloniale, dans la forme comme dans le fond, bien que je n’aime pas séparer les deux. Aussi, l’aspect industriel dominant du cinéma est un élément dont on cherche à se départir.
Ce qui nous intéresse, c’est, aller chercher le cinéma qui sort des clous, de ce à quoi on a accès dans les salles traditionnelles.

 

Comment trouve-t-on ces regards ?

 

On regarde notamment du côté des créations qui sortent du système de production traditionnel. Ou alors des frondeurs, frondeuses, qui abordent des sujets de sociétés avec singularité et engagement. Je pense à des créations brésiliennes de notre édition de l’an passé par exemple. Le « cinéma de fronde », est vraiment un élément qui se détache de plus en plus. On cherche des visions qui vont contrer « l’establishment » d’un cinéma dominant. Quand on les trouve, on essaie de les faire cohabiter dans un même espace à un même moment. Ce qui est important aussi, c’est créer des accidents : quand on propose des formes très différentes de cinéma à un public dans un même endroit, on prend le risque de dérouter ce public, retardataire, ou surpris par ce à quoi il assiste qui est différent de l’idée qu’il s’en était fait. Ça vient un peu de mon expérience en tant qu’agent d’accueil.

 

Un exemple de ce cinéma de fronde, comme vous le surnommez ?

 

Nelson Peirera Santos présenté dans notre festival de l’année dernière, qui, au moment où son pays retombe dans la dictature, avait cherché dans son cinéma, par un jeu de récits inhabituels et divergents, loin des centres de pouvoirs du Brésil, d’exprimer sa lutte, Des luttes. C’est un exemple parmi d’autres.

 

La notion d’ « espace », est importante dans vos projets, à tous les niveaux, l’espace – le lieu, ou encore l’espace en termes urbain, et dans sa dimension socio-économique…

 

L’Écran de Saint-Denis justement, demeure un lieu de convergence, une sorte d’ « Agora ». Nous proposons à des publics variés, des cinémas qui le sont tout autant. De fait, le hall de l’Écran est assez petit pour une salle de cinéma. Les publics, se croisent, se mêlent, on peut croiser les cinéastes… Des barrières sociales et culturelles s’estompent. L’humilité des dimensions du lieu, fait tomber une hiérarchie, culturelle et sociale, encore largement établie dans les établissements cinématographiques. L’Écran, soutient la démarche du festival, du fait même de ses aménagements architecturaux. C’est un vrai lieu de vie et d’échanges qui se juxtapose à une consommation du cinéma de plus en plus domestique et isolée.

 

Pour cette édition 2025 de REGARDS SATELLITES, vous comptez une figure locale, importante du cinéma, si je puis m’exprimer ainsi ?

 

Oui, il s’agit de Sarah Maldoror (1929-2020). Elle a été une cinéaste qui a traversé l’histoire du cinéma et du 20e siècle. Elle était aussi comédienne et écrivaine. Elle a milité pour les luttes de libérations africaines, très engagée pour le combat en Angola. Artistiquement, elle a énormément contribué, auprès de grandes figures comme le réalisateur Chris Marker ou encore René Vauthier pour n’en citer que quelques-uns. Elle a produit une œuvre extrêmement importante, de courts et longs métrages, je pense au film « Sambizanga » (1972), qui relate la guerre d’indépendance en Angola dans les années 60. Et, oui, elle a vécu 30 ans à Saint-Denis, et elle bénéficie d’un rayonnement international. En 2021, il y a eu une rétrospective de son œuvre au Palais de Tokyo, qui s’est perpétué au Musée de L’Homme et autres. Des restaurations de son travail cinématographique sont au programme du MoMA et du Centre Pompidou… pourtant, son nom, est majoritairement « inconnu » , et pas du tout rattaché à cette ville, où elle a vécu près de 30 ans. Sa contribution énorme, en tant que femme noire, une des premières d’ascendance africaine, à devenir réalisatrice, en plus de tous ses autres talents et engagements que j’ai cités… C’est incompréhensible pour moi ! Nous allons la mettre à l’honneur en affichant son portrait dans le hall du cinéma, à la place d’un cinéaste qui est devenu problématique.

 

 

Justement, pour en revenir à ce cinéma de la « fringe », en marge, de ces centres de décision, voire de dictature ; souvent, il finit par être repris par les instituions. Je ne sais pas si le festival a assez de recul par rapport à ce phénomène typique des années 70. À quoi aspirez-vous ?

 

Personnellement j’ai le sentiment ces derniers temps qu’on a de moins en moins de cinéma, de films, fédérateurs. On est plus dans un morcellement, des petites unités. Avant, Scorsese, Ken Loach étaient identifiables pour tout le monde. Maintenant, les gens vont plus au cinéma pour trouver leur espace. C’est mon sentiment. Regards Satellites, c’est aussi vouloir montrer au public, Le moment où un cinéma à été une marge, ou en marge. Comme Gregg Araki par exemple, il était ignoré dans les 90, pas identifié, puis avec « Mysterious Skin », d’un coup il a été identifié, on l’a montré l’année dernière du coup. Avec le festival, on cherche précisément à montrer ce moment du cinéma et ses faiseurs, à ce moment qui intervient juste avant qu’ils ou elles soient devenus identifiables.

 

Vous pouvez nous en dire plus sur le cinéma indépendant américain qui tient une place spécifique dans le festival ?

 

Là, on parle réellement du cinéma indépendant « du maintenant ». On collabore avec des spécialistes à Chicago. On essaie de faire un vrai tri entre ce qui nous est présenté comme indépendant, pas la « Sundance – factory », ou même « Hollywood », pour en extirper ce qui tient réellement du cinéma indépendant. Depuis la crise de la Covid, on sent que la production et le soutien à un cinéma indépendant ont chuté drastiquement, internationalement. Nord-américain, mais pas seulement. On veut parler, montrer ce cinéma qui ne parvient même plus forcément à se glisser jusqu’aux salles de projection. Et, concernant les US, pas uniquement le cinéma issu des deux côtes, le cinéma des terres est très riche. Encore une fois, on s’éloigne toujours plus des centres de gravité du pouvoir et du risque du formatage. Chaque territoire a ses expressions, esthétiques, ses récits, en Amérique du Nord, comme en Amérique latine. On veut montrer ça.

 

Cette année le festival organise une compétition ?

 

On a Paris VIII pas loin, et je ne suis pas fan de l’idée de compétition… Disons qu’on a demandé aux étudiants de participer en apportant leur soutien à un film, une production, parmi la programmation du festival. Il ne s’agit pas de sanctionner, mais, de supporter, littéralement. Le proposition est émergente et contemporaine, internationale. On a des films brésiliens, d’Europe de l’Est… On verra ! Le prix se nomme : « Prix des étudiantes et étudiant Université des Jeunes Créations Paris VIII » – en partenariat avec l’université bien sûr.

On a d’autres évènements et partenaires pour cette édition, on invite ! Le « FIDMarseille », « Côté court » ou encore « Chéries-Chéris », notamment. Quand on donne carte blanche, on se doit d’ouvrir nos portes. En avril, on continue, et pas qu’en salle obscure, avec une programmation gratuite et ouverte, en partenariat avec le brésil, qui tiens, vous l’avez compris, une place importante dans notre projet, ce sera du 3 au 6 avril 2025, on repousse encore les frontières !

Collision, rencontre des regards… On prend rendez-vous avec REGARDS SATELLITES, en janvier du 29 au 9 février 2025, puis en avril 2025.

 

Pour en savoir plus, c’est ici.