Sous titré « Laissons vivre nos imaginaires », l’essai de Maud Serpin publié cet été à La Musardine et qui s’appuie sur 29 interviews ouvre des possibles en interrogeant la manière dont les femmes peuvent cultiver leurs fantasmes. À noter : Maud Serpin sera présente La Bellevilloise, le 30 novembre, pour le 9e Salon de la Littérature érotique.
Je l’ai pensé comme un format hybride qui permet effectivement à la fois de réfléchir, de penser ses imaginaires et j’ai voulu aussi y intégrer des propositions créatives parce que je pense que c’est aussi bien de pratiquer, entre guillemets, de s’entraîner, de pourquoi pas essayer d’imaginer, de plonger dans le fantasme. Beaucoup de femmes à qui j’en parle me disent que je n’ai pas de fantasmes parce qu’elles s’imaginent que le fantasme, c’est un script hyper détaillé, codifié, un scénario. Il faut d’ailleurs que ce soit spectaculaire, en tout cas que ça soit hors du commun. Un massage dans la nuque, par exemple peut-être un fantasme, alors que ce n’est souvent pas présenté comme tel parce que ce n’est pas assez fou.
J’ai interviewé 30 personnes, 29 pour être précise. Que des femmes, sauf un accompagnateur sexuel, qui est la seule parole masculine dans le livre. Pour moi, c’est important que ce soit les femmes qui parlent elles-mêmes des fantasmes de femmes. Ça me paraissait assez naturel comme approche, assez logique en tout cas. Ce n’est pas un échantillon représentatif, parce qu’on n’est pas du tout sur une étude à proprement parler. Simplement, pour moi, c’était important d’aller à la rencontre de femmes de tout âge puisque là les femmes ont entre 23 et 72 ans ; elles sont blanches et racisées ; elles sont hétérosexuelles et bisexuelles ; lesbiennes aussi. Voilà un échantillon qui n’est pas représentatif, mais qui néanmoins me permettait d’aller à la rencontre de femmes qui avaient des points de vue et des expériences différentes concernant le fantasme des femmes aussi avec des sexualités plus ou moins actives. En tout cas le biais de l’expression c’est que toutes ces femmes étaient déjà ok pour parler de leurs imaginaires, ce qui n’est pas le cas de toutes les femmes, bien au contraire.
Fantasmer c’est déjà très différent de la réalisation et c’est très différent de vouloir faire aussi. C’est différent d’une envie. On peut rêver à quelque chose qu’on n’a pas forcément envie de mettre en œuvre. Ce n’est pas corrélé à l’excitation. Ça peut, mais pour le coup, moi, j’en donne dans le livre une définition très ouverte qui est finalement une invitation à investir ce champ qui est plus le champ de la rêverie érotique versus un fantasme qui serait collé à une excitation sexuelle, à une envie de pratique, de réalisation immédiate. C’est une pensée beaucoup plus libre, qui est décorrélée et qui s’affranchit même de la notion d’envie et de réalisation.
J’invite les personnes à les questionner, en tout cas à en prendre conscience. C’est pour ça que le début du livre est plus orienté sur nos fantasmes qui ne nous appartiennent pas. Et prenons conscience aussi qu’on a grandi avec des représentations qui nous disaient « ça c’est érotique, ça c’est sexy, ça c’est désirable ». Et donc c’est bien de pouvoir le reconnaître. Parce que j’ai rencontré quand même dans les entretiens des femmes pour qui ça posait problème, qui aiment, on va dire, des fantasmes on pourrait dire conventionnels, qui représentent des choses, qui ressortent des représentations avec lesquelles elles ont grandi en matière de sexualité, et qui sont par ailleurs extrêmement féministes. Et ça crée un hiatus, ça peut même créer une sorte de dissonance, qui vient questionner les valeurs. Suis-je une bonne féministe ? Et je trouve que le débat ne se situe pas là. D’où l’intérêt pour moi de dire, OK, oui, on ne part pas du tout d’une page blanche avec nos fantasmes. On ne peut pas se déprogrammer. Par contre, on peut les regarder en face, les regarder avec une forme de conscience. Et puis après, soit on peut aller explorer d’autres champs si on n’est plus à l’aise avec nos anciens fantasmes, ou au contraire, on peut s’amuser à les réapproprier, les remixer, décadrer. Il y a plein de manières, je pense, de jouer avec son imaginaire. Mais ce serait dommage que ce soit enfermant, si vous voyez ce que je veux dire.
Effectivement, il ne faut pas tomber dans l’injonction de « il faut fantasmer ». C’est tout à fait possible de ne pas fantasmer et d’avoir une vie sexuelle parfaitement épanouie. Moi, j’aime le fantasme et j’aime l’idée d’enrichir parce que déjà, enrichir implique de connaître et avant même d’enrichir, ça permet de se poser la question, finalement, une question pour moi un peu fondamentale, qu’est-ce qui m’anime? Qu’est-ce qui me plaît ? Qu’est-ce qui me fait vibrer ? Et c’est vrai que je crois qu’on n’est pas forcément très nombreuses à se poser la question. Souvent, j’ai rencontré dans mes entretiens des femmes, j’allais dire subissaient, mais c’est pas le bon terme, mais des femmes qui suivaient pour le coup les fantasmes de leurs partenaires, sans questionner, sans se demander, mais finalement au fond de moi, qu’est-ce qui m’amène du plaisir ? Qu’est-ce qui peut même promouvoir l’excitation, même si ce n’est pas ça forcément qu’on cherche ? Mais voilà, qu’est-ce qui m’émeut ? Qu’est-ce qui me plaît ? Qu’est-ce qui me fait rêver de façon érotique ? Et, en fait, c’est pas évident, d’autant que la littérature érotique, qui est quand même basée sur la transgression, la tension, ne nous invite pas à considérer, par exemple, une étreinte simplement comme quelque chose de profondément érotique, alors que ça peut être un vrai beau fantasme. Du coup, pour répondre à votre question, la vertu du fantasme et de l’enrichissement, c’est de mieux se connaître, de mieux constituer sa safe place érotique à soi. On pourra déjà bien avec soi-même et aussi après bien avec les autres. Et puis ça permet de développer sa curiosité, ça ouvre aussi plein d’autres portes. Et parfois on se surprend soi-même. On pensait peut-être aimer un chant, mais en allant vers un univers de fantasmes autre, on découvre d’autres sources de plaisir, d’autres sources de curiosité. Et je pense que ça permet aussi d’être plus en relation avec l’autre. Ça ouvre des portes.
Les deux ! D’abord avec soi et c’est rarement le cas. C’est dur parce que le fantasme au début, moi je pensais que c’était accessible et parce que c’est gratuit de fait, mais en réalité c’est un espace quand même non marchand qui n’est pas un espace si facile à avoir, c’est ce que je me suis dit en écrivant l’ouvrage, ce n’est pas parce qu’il est gratuit et que tout le monde en théorie peut le faire qu’il est facilement accessible. Il faut le temps ; il faut la disponibilité mentale, psychologique, émotionnelle physique, etc. Donc déjà, ce n’est pas si facile que ça de créer sa chambre à soi de défense asthmatique, d’imaginaire. Et puis, dans un deuxième temps, si on a cette chambre à soi, évidemment qu’on est mieux avec les autres. Évidemment qu’on peut travailler plus ce langage de coach, mais plus son assertivité, sa capacité à dire oui ou non. Et on peut aussi s’amuser sans réaliser forcément, mais à partager si on en a envie, évidemment il n’y a aucune obligation, mais à partager ses imaginaires avec l’autre.
Alors évidemment moi je n’ai pas envie de genrer le fantasme. Mon intention, c’est juste de replacer le fantasme dans un contexte socio-culturel donné. Et pourquoi au féminin ? Tout simplement parce que je considère que pendant très longtemps et aujourd’hui encore, on est dans un monde qui propose des représentations essentiellement adressées aux hommes en matière d’érotisme. Je vais parler du script patriarcal, on est quand même dans des représentations d’érotisme qui s’adresse principalement aux hommes. Non, mais je pense qu’on est quand même dans une société qui a longtemps dicté aux femmes ce qui devait être désirable, excitant ; aux hommes aussi d’ailleurs, mais avec un érotisme qui s’adresse avant tout aux hommes et où la femme, historiquement (et toujours un petit peu encore aujourd’hui) est avant tout objet de désir et pas sujet. Donc pour moi, il y avait dans ce contexte-là une réelle nécessité à mettre au cœur la parole des femmes et à leur donner la permission aussi. Parce que je pense qu’il y a une idée de permission qui est derrière ça, de dire « ose ». Je ne sais pas pour les hommes, je pense que c’est aussi compliqué, mais dans une autre mesure. Là, il y avait l’autorisation pour les femmes de fantasmer autre chose que ce qu’on trouve dans les représentations collectives, culturelles, médiatiques de l’érotisme, une autre autorisation tu peux fantasmer un hug tu peux fantasmer une caresse sur le poignet ; c’est aussi un fantasme.
Oui bien sûr, au sens où, pour le dire très simplement, quand tu es bien au clair avec ce qui te plaît, tu peux le communiquer avec l’autre, et tu peux questionner des pratiques, et tu peux, via la fantasmatique, reconstruire, déconstruire, je ne sais pas, des pratiques, renégocier des choses et bien sûr que cette sphère de l’intime elle est aussi politique à l’heure où on questionne énormément les rapports femmes-hommes, l’amour, la sexualité, la réinvention de la sexualité. Pour moi, la fantasmatique, le fantasme, a toute sa part, a toute sa place à prendre.
Je l’appellerais le réel ou la pratique… Pour le coup, pour moi, dans la définition du fantasme, dès l’instant où il est mis en œuvre, on n’est plus dans le domaine de la fantasmatique, on est dans le domaine de la pratique. Je ne réponds pas du tout à la question de « doit-on ? Faut-il ? Est-ce que c’est bien qu’un fantasme soit vécu ? ». Ça, c’est une question évidemment éminemment subjective. Moi, ce qui m’intéressait dans le livre, c’est de questionner les tensions entre réel et imaginaire. En gros, comment ils se nourrissent l’un l’autre ? Est-ce qu’il y a des tensions entre les deux ? Qu’est-ce que ça apporte aussi pour les femmes que j’ai interviewées qui avaient des sexualités actives ? Qu’est-ce que ça apporte à la fantasmatique de vivre ? Et peut-être je vous donne la réponse qui en ressort, c’est que finalement, apparemment, le fantasme, quand il est réalisé, me disent mes interviewés, il nous aide à comprendre des choses sur ce qui nous plaît vraiment parfois. Donc le fantasme, tant qu’il est dans nos têtes, on est la directrice de casting, on est la scénariste, on est la script, on est la personne qui tourne, enfin on fait tout et donc on est dans un contrôle absolu de ce qui se passe. Dans la vraie vie, la pratique permet aussi de découvrir des à-côtés. J’ai beaucoup aimé dans le livre le témoignage d’une artiste, Meta Tshiteya qui rêvait à une orgie. Elle en avait une idée vraiment très précise et quand lui a été donné la possibilité de réaliser ce fantasme, c’est-à-dire qu’elle-même, dans un milieu polyamoureux, a organisé du sexe de groupe, elle a découvert en fait que ce qui lui plaisait, avant tout, c’était de rassembler les personnes et de les écouter, prendre du plaisir et que finalement les images un peu clichées qu’elle avait sur ce fantasme-là et qui lui plaisait, dans la réalité lui offrait beaucoup plus, lui offrait la prise de conscience que ce qu’elle aimait en fait, c’était entendre le plaisir des autres. Et avant tout ça.
Je ne sais pas. Il y a un retour de bâton, il y a un gros backlash quand même. Là on le voit aussi avec la dark romance, quand même un mouvement littéraire dans lequel il y a une romantisation des violences sexuelles, ça pose un peu problème. Je crois qu’il y a des tentatives pour montrer des nouvelles formes d’érotisme dans la représentation culturelle, dans les livres, dans les séries. Je ne sais pas si on s’est vraiment affranchi.e.s des scripts patriarcaux. Est-ce qu’il y a la place pour d’autres choses ? C’est la question qui me passionne. Et notamment, je n’ai pas réussi à interviewer des personnes très jeunes. Mais j’aimerais bien savoir ce que les 18-25 ans pensent de la notion même d’érotisme. J’ai l’impression que ce n’est même pas une question qui est forcément pertinente à l’heure où on a plutôt questionné l’identité de genre par exemple, mais tout simplement voilà qu’est ce qui est sexy aujourd’hui quand on a 20 ans ? C’est évidemment très subjectif…