On connaît bien Khatia Buniatishvili, « la rock star du classique », fortement sollicitée par les plateaux de télévision. Elle plaît au public par son tempérament affirmé et son charme autant que par ses interprétations spectaculaires, tant dans le répertoire classique que dans la variété. Bien entendu, elle fascine autant qu’elle divise.
Marie-Aude Roux, dans un article qui lui était consacré en 2010, prenait position : « Khatia Buniatishvili possède une technique digitale qui lui permet de prendre un cran au-dessus les œuvres de grande virtuosité comme la Méphisto-Valse de Liszt, qu’elle joue à la façon imagée d’un cartoon. Et c’est insupportable : que de caricature sous couvert de forte personnalité. »
Cela n’entache en rien son grand succès international et, ce soir à la Philharmonie de Paris, fidèle à sa somptueuse programmation, le Tout-Paris était présent pour assister à une prestation exceptionnelle de l’artiste. On pouvait, entre autres, croiser Patrick Bruel.
Lors de cette soirée, nous avons pu découvrir une autre facette de sa personnalité qui n’a pas manqué de nous séduire. Au cours de cette promenade musicale de 17 pièces qui nous ont été présentées sans entracte, Khatia s’est essentiellement mise en retrait au profit de ses amis.
On reconnut la mezzo-soprano Axelle Saint-Cirel, rendue célèbre par son interprétation de la Marseillaise à l’ouverture des Jeux olympiques, le multi-césarisé Guillaume Gallienne ainsi que la sœur de Khatia, Gvantsa.
Le pianiste Gabriel Durliat et le violoniste au magnifique Stradivarius Daniel Lozakovich, tous deux âgés de 24 ans, ainsi que le violoncelliste Edgar Moreau, moins connus du public, furent mis en vedette tout au long de la soirée.
Le ballet parfaitement orchestré des techniciens nous permit d’apprécier les 17 compositions jouées par cette formation à géométrie variable avec une magnifique fluidité.
La récitation fort émouvante de « Liberté » de Paul Eluard par Guillaume Gallienne introduisit la soirée, suivie par « La Valse » de Maurice Ravel en duo de pianos par Khatia et Gabriel Durliat. La fusion entre les deux musiciens fut splendide et déjà là, on pouvait noter que la flamboyante Khatia avait cédé sa place à la sensible Khatia.
Puis Axelle Saint-Cirel interpréta « Sure of this shining night » de Samuel Barber et « Reflets » de Lili Boulanger, accompagnée par Khatia, nous donnant l’occasion d’apprécier une voix profonde et douce.
Elle fut suivie par Daniel Lozakovich qui, toujours avec le même accompagnement prestigieux, nous fit voyager dans la « Sonate pour violon et piano » de César Franck. Ils firent la prouesse de nous faire redécouvrir l’œuvre la plus jouée du compositeur.
Pour « Du bist die Ruh » de Schubert, ce fut Gabriel Durliat qui accompagna le brillant violoncelle d’Edgar Moreau, et la tourneuse de pages ne fut autre que Khatia elle-même. Schubert l’avait composé pour voix et piano sur un poème de Friedrich Rückert. Elle nous fut proposée ici dans son adaptation pour ces deux instruments sans perdre son esprit dramatique et mystique.
Les pièces et les artistes se succédèrent sur scène pendant plus de deux heures pour le plus grand plaisir d’un public subjugué qui en redemandait.
Gvantsa, sa sœur aînée, vint l’accompagner pour jouer à quatre mains la « Rhapsodie hongroise » de Franz Liszt. On retrouva la Khatia fougueuse se levant au piano, tel un Little Richard à ses meilleures heures. Le public exulta, surtout lorsqu’elles enchaînèrent avec « Libertango » d’Astor Piazzolla.
Pour terminer, Khatia Buniatishvili interpréta le « Prélude en si mineur » de Bach, le « Song of the fisherman » de Sofia Goubaïdoulina et l’« Adagio » d’Alessandro Marcello, et nous permit d’apprécier l’étendue de son talent. Pour cette dernière œuvre, le mariage entre le style vénitien de Marcello et la structure baroque de Bach, qui le transcrit de la trompette au clavecin, le charge d’un contenu émotionnel parfaitement rendu par l’artiste.
Nous pouvons accorder une mention spéciale au « Trio élégiaque n°1 » de Serge Rachmaninoff, interprété outre Khatia par Edgar Moreau et Daniel Lozakovich. Ce fut un sommet de ce concert, applaudi debout par le public. Le trio rendit parfaitement le côté contemporain de cette pièce, par la répétition du thème principal au piano puis au violoncelle et au violon.
Bis !
Cette soirée très enthousiasmante par son format et ses participants nous permit de voir que Khatia Buniatishvili, loin des clichés qui lui étaient accolés, était une passeuse de talents, ce qui est tout à son honneur. Nous attendrons avec impatience qu’elle nous présente d’autres amis.
© Yves Braka