Keren Ann était la 3e artiste au programme du nouveau festival, Fragile, qui a lieu ces mois de mai et avril au Théâtre Zingaro. Annoncée avec emphase par Louis Zingaro, c’est seule en scène qu’elle a fait une déclaration d’amour à Paris et refait tomber raide dingue son public ébahi. Loin d’être « fragile » Keren Ann, toujours aussi précise que d’habitude, s’est révélée, et s’est faite ovationnée comme chanteuse « à voix ». Et quelle voix !… plus belle que jamais.
C’est en smoking, avec l’élégance qui lui est propre, que la chanteuse entre sur la piste pour un seule en scène qui est, de prime abord, assez impressionnant ; un piano à queue, une guitare électrique et une guitare sèche emplissent le chapiteau, dans une pénombre un brin inquiétante et très glamour. Sans un mot, elle s’installe au piano, et commence par un titre que personne ne connaît, « La sublime solitude ». Il s’agit du single qui sort le lendemain même de ce concert que l’autrice-compositrice et interprète présente comme des retrouvailles amoureuses. Les premières notes de piano chuchotent, mais la voix s’impose immédiatement et, en français, déjà très affirmée dans un parler-chanté intime.
Il y aura d’autres titres de cet album, dévoilés et égrenés au long du chemin, et même pour certains, comme le « tube » dédié à Boris Vian et à Montmartre, nous n’aurons que deux couplets en attendant la sortie du CD. C’est un album amoureux de la butte Montmartre et de la langue française prouvant que la chanteuse qui a oscillé entre Tel-Aviv, New-York, Amsterdam et Paris a fini par choisir la Seine pour laisse couler sa mélancolie puisqu’il s’intitule « Paris ».
Mais le cœur de cette performance de deux heures, ce sont les chansons que Keren Ann a composé depuis 25 ans. Elle déroule son menu qu’elle a appris par cœur pour qu’aucun petit papier ne dépasse. Chaque note est préparée, mesurée et posée, et l’on passe de Bluegrass à la Soul en passant par le jazz et la bossa, volontiers dans un tournoiement lent et aussi lancinant que les commentaires très articulés et très suaves qui accompagnent ce tour de chant extraordinaire. Chacune et chacun y retrouve la Keren Ann qu’il ou elle aime : les couleurs suaves du « Jardin d’Hiver », composé pour Henri Salvador, la vibration rock de « Lay your head down » ou « My name is trouble », les affres baudelairiennes de la vie « Ailleurs », aussi bien qu’une version éblouissante et encore plus troublante si possible de « Que n’ai-je ?».
Et jusqu’au dernier bis, nous avons à coeur de surtout « Not going anywhere », tant ce concert est un festin de sensualité et de sens. On oublie la taille de la piste on se renferme sur chacun de nos souvenirs des chuchotements de disques que l’on connait par cœur. On a l’impression d’un grand tête à tête avec Keren Ann, au milieu de la nuit, dans un bar d’hôtel. Et en même temps, on retient son souffle tant les variations choisies nous enchantent, de la reverb’ impertinente au flirt avec la voix de Patti Smith, en passant par des glissando avec l’ampli de la guitare électrique. Mais c’est l’impressionnante puissance et la mobilité de la voix qui impressionnent à chaque instant. Une voix qui nous saisit et nous émeut dans un flux perpétuel, mouvant, aussi insaisissable que les sables chauds de la chanson des origines. Standing ovation pour la diva !