La compagnie néerlandaise Hotel Modern restitue avec précision et humilité, dans Kamp, l’horreur nazie. À voir au FMTM jusqu’au 26 septembre et d’avril à mai 2026 aux Pays-Bas, à partir de 15 ans.
La terreur absolue est toute proche. Elle se dresse, neutre, devant les spectateurs. Sur la scène, le camp de concentration d‘Auschwitz-Birkenau s’élève en miniature.
Il s’agit d’une reconstitution qui ne se veut pas véridique historiquement. Dans la pièce, le camp d’Auschwitz I ouvert le 20 mai 1940 où ont péri 70 000 prisonniers de guerre, opposants politiques polonais et soviétiques puis des personnes juives et quelques résistants venus de partout et celui d’Auschwitz-Birkenau, créé en octobre 1941 et destiné aux prisonniers de guerre soviétique, et le camp, sont regroupés. Or, les deux étaient séparés de trois kilomètres au moment de la Seconde Guerre mondiale. Le premier était un camp de concentration et de travail forcé. Le second, camp d’extermination et centre de mise à mort immédiate visant, pour reprendre la terminologie de Raoul Hildberg à La Destruction des Juifs d’Europe et des Tziganes.
L’entrée où passe le train ressemble à la façade d’une gare. Dans la pièce, c’est le premier édifice qu’aperçoivent les victimes en arrivant. Pendant des heures, voire des jours, ils ont été entassés dans des wagons à l’hygiène inexistante. Les premières années, cette gare n’existe en fait pas. Initialement, les déporté·es doivent descendre des wagons vers l’ancienne gare de marchandises d’Auschwitz, la Judenrampe, et marcher environ un kilomètre jusqu’à Birkenau. La voie ferrée sera prolongée plus tard jusqu’à l’intérieur d’Auschwitz-Birkenau au printemps 1944. Aujourd’hui, elle est devenue le symbole de la Shoah.
C’est le choix que fait la compagnie Hotel Modern à l’origine du spectacle. Elle privilégie d’abord le symbolisme à l’exactitude historique pour mieux rappeler l’humanité de ces victimes de la barbarie nazie.
Sur la gauche, l’un des fours crématoires a été reconstitué. Devant l’endroit sont situées plusieurs baraques. À droite vivent les prisonniers. Sur la place, trois d’entre eux ont été placés sur le gibet. Plusieurs officiers regardent, impassibles. En face, une foule compacte d’individus faméliques, le village tordu et le regard halluciné, observe avec horreur la scène.
La compagnie néerlandaise Hotel Modern a parcouru l’Europe avec ce spectacle de marionnettes sur table. Cette maquette géante effroyable est présentée depuis 2005 et a reçu plusieurs prix. Les trois comédiennes, minutieusement, font vivre les événements de ce camp. Ce sont les seules à apporter un peu d’humanité dans ce camp monstrueux. Il ressemble de loin à une ville ordinaire : des gens y travaillent. L’inscription « Arbeit macht frei » – slogan nazi signifiant « Le travail rend libre » – érigé à l’entrée d’Aushwitz I, le rappelle. La compagnie l’a reconstitué dans son spectacle. Ses habitants se déplacent et la nuit les lumières s’allument dans les maisons. Ce sont en fait des dortoirs insalubres où ils s’entassent.
La quotidienneté des tâches et le silence imperturbable qui règne sur scène renforce le constat que la mort devient banale. Avec une petite caméra, les actrices mettent en évidence les moments les plus cachés, les plus inimaginables. Des prisonniers se tuent à la tâche en rassemblant du gravier. Femmes et hommes sont déshabillés, mis à nu avant l’entrée dans la chambre à gaz. Les prisonniers s’occupent de récupérer les corps et de les incinérer.
Ces visages sont anonymes et innombrables. Entre le 20 mai 1940 et le 27 janvier 1945, entre 2,1 et 2,5 millions d’hommes, femmes et enfants, en grande majorité juifs, sont morts à Auschwitz. La plupart sont tués en 1942 au moment de « la Solution finale à la question juive » décrétée par les nazis le 20 janvier 1942, et le jour même de leur arrivée. Hotel Modern prouve que l’image de ces 3 000 figurines qui furent des êtres humains suffit à rappeler ces atrocités. Le devoir de mémoire passe aussi par de nouvelles formes d’expressions scéniques, qui disent autrement les événements passés.
Trois comédiennes donnent vie à l’horreur du camp d’Auschwitz dans Kamp. ©Alysse Thome
Le FMTM 2025 se tient du 19 au 28 septembre 2025