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Bonnefoy, lauréat du grand prix du roman de l’Académie française
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Le compte Instagram de Frank Muk sous-titré @ai.work pour Intelligence Artificielle propose plusieurs fois par jour un frisson d’horreur devant une normalité qui part en sucette. « The substance » en version Instagram.

Mais qu’est-ce qui m’arrive ?

Ai.work est une expérience honteuse. Une femme asiatique, presque toujours la même et toujours dévêtue, est approchée, puis assaillie par des monstres à la fois sexuel et animal, chaque fois des hommes ou des symboles masculins. La scène nous prend par surprise, et elle est éprouvante en soi. Mais ce qui l’est davantage encore, c’est l’attitude de la jeune femme. On partage avec elle son frisson et on sent bien en quoi il peut être désagréable. Et en même temps, on voit bien qu’elle n’a pas envie de le refuser. Et nous, non plus. Ce mélange accéléré de sensations contradictoires crée ce trouble à l’image qui va durer quelques secondes. On a l’impression d’avoir observé les failles du désir, et on se met à fantasmer sur notre face cachée du consentement. C’est excitant, mais dérangeant.

Corps objet – corps transfert

« Chaque jour une image cuisinée par l’IA », c’est ce que promet le compte de Max, qui se dit inspiré par Jung, le grand opposant de Freud, celui qui a développé une approche plus primale, plus corporelle des manifestations du désir (et de la pulsion de mort). L’expérience de la libération de« l’enfant intérieur » que pratiquait John Lennon dans les années 1970, c’est du Jung ici «cuisiné» avec du porno asiatique. Max fabrique donc avec de l’Intelligence Artificielle des saynètes d’épouvante et de sexe dont on ne sait s’il s’agit d’une scène de partouze avec des femmes esclaves ou d’un hommage des tribus masculines primitives à une déesse du sexe. Un matriarcat de l’effroi et de la mort qui nous rappelle l’héroïne du film de Coralie Fargeat, « The Substance ». Non plus une femme victime, mais une femme régnante. Cette sorcière dont on parle tant dans les ouvrages féministes. Son corps est un lieu de transfert et d’appropriation qui rend fou, et pousse à la dévoration, au lâcher-prise des liquides corporels que contient le corps des monstres. Un éjaculat artificiel et attentatoire sur le corps vierge de la jeune femme ; vierge au sens où il s’agit de sa première expérience artificielle, tellement artificielle que c’est chaque fois une première fois. Mais dans quel territoire sommes-nous donc tombés, où donc cette histoire peut-elle nous entraîner ?

Espace rituel du dévoilement

La lecture des commentaires nous apprend que les fans interrogent d’abord, le choix des logiciels, la qualité de l’image et la performance plastique et cinématographique. Ensuite seulement apparaissent les petits frissons que l’on confesse honteusement (« celui-là, il était pas mal »), en spectateur en ligne en amateur libertin. Un monde parallèle de stories, d’images, de mots et de sensation, essentiellement suivi par des hommes. Loin du réel où – sur ces sujets – on évoque le procès Mazan plutôt que des historiettes d’héroïc-fantasy. Mais il est certain que notre trouble vienne du fait qu’il y a un lien entre les deux. La peur d’être en danger, la peur de faire souffrir. La peur de la mort. A ce frisson administré d’une façon presque rituelle ici, s’ajoutent un lourd parfum d’addiction. C’est encore Jung pour qui nos maladies mentales, nos troubles du comportement ne sont pas « anormaux » mais atypiques, et forment une part du socle de l’humain. Il faut donc les laisser s’exprimer dans un espace sécurisé et l’Intelligence Artificielle constitue peut-être cet espace. Voilà l’histoire que nous nous sommes racontée. Et par ailleurs, nous avons désiré très fort que Max soit une femme, si possible la jeune femme à l’écran. Mais Max est un homme, il est né en Corée du Sud. Ces images sont aussi un espace de training, à visée professionnelle sans doute. Au départ, il a réalisé une vidéo d’une minute sur le thème « Why people like dark contents ? » Il n’a eu aucune vue. Alors, il en a pris des extraits de cinq secondes et en a fait une première série qui est devenue virale. On a fini par l’interviewer.

Max en vrai

Cult : Salut Max, tu publies combien de vidéos par jour aujourd’hui ?

Max Muk : 4 ou 5, rarement moins de 3.

Cult : qu’est-ce que le plus important : la peur, l’addiction, le sexe ?

Max Muk : le plus dangereux c’est l’addiction. Le plus important, je ne sais pas.

Cult : les histoires ?

Max Muk : je ne vois pas ce que vous trouvez d’intéressant dans cet Instagram mineur.

Cult : en France, ce peut être culte !

Max Muk : Je vis en France depuis peu mais je n’y connais rien ici. Qu’est-ce que les Français peuvent ressentir en regardant mes vidéos ?

Cult : de l’effroi, une offense.

Max Muk : ce n’est pas bon, alors.

Cult : mais en même temps, ça les intéresse.

Max Muk : même chose en Corée. Comme disait Aristote, il faut raconter une histoire à la façon dont le public veut l’entendre.

Cult : mais vos images parlent aussi de poésie, de politique, de fantastique.

Max Muk : je ne sais pas si mes vidéos entrent dans ces catégories. Merci, en tout cas, si vous avez voulu être gentil.

Cult : …

Max Muk : Je suis heureux de ne pas vous faire perdre votre temps.

Cult : oh non, au contraire. Vos vidéos me rappellent chaque jour à quel point l’amour peut faire mal.

Max Muk : merci pour le chat.

Visuel : ©www.ai.work