Rarement exposé, le peintre pionnier de l’art abstrait, revenu à la figuration dès 1939, est à l’honneur jusqu’au 18 août au Musée d’art moderne de Paris. Une plongée dans ce que les commissaires ont joliment nommé « La prose du monde ».
« Je vais tout de suite à l’ardent. Je touche où cela brûle. Je porte la couleur ardemment aux points les plus sensibles et j’arrange ensuite les intervalles », écrit Jean Hélion en 1945. Figure majeure de l’abstraction, proche de Piet Mondrian et Theo van Doesburg, cofondateur du collectif Abstraction Création, il déménage en Virginie dans les années 1930. Il y rencontre Marcel Duchamp et devient l’émissaire de l’art abstrait. Aussi, quand de retour en Europe, il réalise sa dernière figure abstraite avant d’entrer en Résistance, personne ne comprend son retour à la figure humaine.
En plus de 150 œuvres (peintures, dessins mais aussi ses carnets qu’il a tenus de 1929 à 1984), et notamment avec des toiles venues de grands musées et de collections privées, le Musée d’art moderne nous offre une plongée chronologique et thématisée dans l’œuvre d’un grand peintre trop peu connu. Que ce soit les premières toiles roses ou bleues à la Picasso où l’on voir ressurgir une forme humaine au rez-de-chaussée, les portraits quotidiens de personnages clope au bec qui nous regardent, des compositions des années 1950 entre pop et cubisme avec une touche de métaphysique qui fait irruption avec des citrouilles et des guitares.
On y rencontre un coloriste de génie et aussi un artiste fortement bousculé par un sentiment de solitude. Cette solitude culmine avec les immenses « mannequineries » d’un artiste aussi prompt à inventer des mots que des formes. Un homme allongé y semble dormir, sorte de conscience poétique d’un monde où la nature peut aussi être là, mais où les vitrines nous déshumanisent.
Le travail est simplement splendide. Il est parfois monumental comme dans le saisissant Triptyque du dragon. Avec un parcours thématique discrètement parsemé d’autoportraits, l’œuvre de Jean Hélion est peut-être trop singulière pour n’y lire qu’une critique des Trente Glorieuses. Les dernières œuvres des années 1982-1983, au moment où l’artiste perd la vue, sont très émouvantes. Ainsi sa manière de plonger dans l’histoire de la première guerre mondiale avec sa Suite pour le 11 novembre (1976) finit de nous marquer.
Ce cycle wagnérien nous fait dire que ce n’est pas simplement son retour au figuratif qui fait de Jean Hélion un ovni au XXe siècle. C’est aussi sa manière d’être, au sens le plus métaphysique du terme, un romantique plus de cent ans après l’heure.
Photos
– Jean Hélion, Figure tombée, 1939, Huile sur toile, 126,2 x 164,3 cm, Centre Pompidou – Musée national d’art moderne, Centre de création industrielle, Paris Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN- Grand Palais / Georges Meguerditchian © ADAGP, Paris, 2024
– Jean Hélion, L’Homme à la joue rouge, 1943, Huile sur toile, 65 x 49,5 cm Collection particulière © ADAGP, Paris, 2024