Le réseau social X traverse une crise de confiance majeure, exacerbée par la montée en puissance d’Elon Musk auprès de Donald Trump. Depuis, la plateforme est accusée de favoriser la désinformation, de relâcher sa modération et d’encourager encore davantage des discours haineux. Face à cette dérive, un nombre croissant de médias, organisations et personnalités prennent la décision de quitter X, marquant une rupture symbolique et stratégique.
Après avoir financé sa campagne présidentielle à hauteur de 118,5 millions de dollars, Elon Musk s’impose désormais comme un acteur clé de l’administration de Trump, puisque sa donation représente la quasi-totalité des 130,3 millions de dollars collectés par le super PAC. Cette proximité inquiète, d’autant plus que le propriétaire de X a exécuté deux geste rappelant fortement le salut nazi le jour de l’investiture de Trump, ce qui renforce les craintes sur l’orientation idéologique du réseau.
Les liens entre Elon Musk et Donald Trump se renforcent, notamment à travers X. Le Wall Street Journal a annoncé le 13 février que X a accepté de verser 10 millions de dollars au président américain en compensation de la suspension de son compte en 2021, après l’attaque du Capitole. Cet accord à l’amiable intervient alors que Meta a également indemnisé Trump à hauteur de 25 millions de dollars pour des raisons similaires. Google pourrait être le prochain à conclure un tel arrangement. Depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump entretient des relations étroites avec la Silicon Valley, invitant les dirigeants des grandes entreprises technologiques à son investiture et les incitant à financer son administration. De son côté, Musk, désormais en charge du Département de l’Efficacité gouvernementale (DOGE), a consacré 277 millions de dollars de sa fortune personnelle au soutien du président républicain. Plus que jamais, le patron de X apparaît comme un acteur politique, au risque d’affaiblir l’image de ses entreprises.
Parmi les départs les plus marquants, Mediapart a officialisé son retrait le 20 janvier 2025, jour de l’investiture de Donald Trump. Le média indépendant justifie son choix en dénonçant une plateforme devenue « une arme de désinformation massive », mettant en péril la démocratie et le journalisme d’investigation. La rédaction a expliqué vouloir privilégier d’autres espaces numériques plus respectueux du débat public et s’engager dans la construction d’une « rue numérique » alternative.
D’autres médias de renom ont fait de même, à l’image du Guardian (Royaume-Uni), de NPR (États-Unis) ou encore de The Conversation France, qui évoquent tous un climat toxique, une perte de visibilité algorithmique et une impossibilité de continuer à exercer leur mission d’information dans un environnement gangrené par les fake news et les discours extrémistes.
Ce mouvement de départ ne s’est pas fait de manière isolée. Une initiative baptisée HelloQuitteX a joué un rôle clé dans l’organisation de cet exode numérique.
Lancé fin 2024, ce collectif français tire son nom d’un jeu de mots avec la marque japonaise Hello Kitty et est composé d’une trentaine de bénévoles, issus de différentes associations et organisations. Une petite équipe de développeurs, coordonnée par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), travaille sur les outils permettant aux utilisateurs de X de retrouver leur communauté sur BlueSky et Mastodon.
Dans son manifeste, HelloQuitteX compare ce basculement à un changement de convention collective, prenant pour exemple le « Dagen H » de 1967 en Suède, jour où l’ensemble du pays a basculé de la conduite à gauche à la conduite à droite.
Le collectif a fixé une date symbolique pour ce départ massif : le 20 janvier 2025, jour de l’investiture de Donald Trump. Selon eux, cette échéance marque un tournant critique, car une fois en fonction, Elon Musk n’aurait plus de comptes à rendre à la justice américaine. Ils estiment que X deviendra alors plus dangereux que jamais pour la santé mentale des utilisateurs et la démocratie.
Au-delà des médias, plusieurs institutions de premier plan ont également choisi de couper les ponts avec X. C’est le cas de l’Université de Strasbourg, de Sorbonne Université et de nombreuses universités européennes (Amsterdam, Vienne, Berlin, etc.), qui dénoncent un réseau devenu peu propice à la diffusion de savoirs et à l’échange académique.
Le Centre National du Cinéma et de l’image animée (CNC) a aussi officialisé son départ, marquant un signal fort dans le secteur culturel français. L’institution a justifié cette décision en évoquant « une dégradation du climat numérique et des valeurs incompatibles avec celles que le CNC défend ».
Des organisations environnementales comme Greenpeace France, Les Amis de la Terre ou Zero Waste France ont également annoncé leur départ, estimant que la plateforme ne permet plus de sensibiliser efficacement aux enjeux écologiques.
Côté institutions, le Berlinale Film Festival, le Département de Loire-Atlantique ou encore la Ville de Paris ont aussi fait le choix de quitter X, renforçant l’idée d’un exode de grande ampleur.
Les médias et institutions ne sont pas les seuls à abandonner X. Plusieurs figures du cinéma, de la littérature et de la musique ont également décidé de tourner la page.
Parmi eux, on trouve Gigi Hadid, Jim Carrey et Shonda Rhimes, qui ont tous dénoncé la toxicité de la plateforme. Le romancier Stephen King a choisi de migrer vers Threads, tandis que la chanteuse Barbra Streisand a rejoint BlueSky, expliquant : « À partir de maintenant, tous mes commentaires seront postés sur BlueSky », avec le hashtag #TwitterExodus.
L’actrice Jamie Lee Curtis a marqué les esprits en quittant X avec un message symbolique posté sur Instagram. Elle y partageait une capture d’écran de sa page X supprimée, accompagnée de la prière de la sérénité : « Dieu, accorde-moi la sérénité d’accepter les choses que je ne peux pas changer. Le courage de changer les choses que je peux. Et la sagesse d’en connaître la différence. » Curtis avait déjà été victime de désinformation à plusieurs reprises et semble avoir vu dans ce départ une manière de s’affranchir d’un climat numérique pesant.
L’actrice Gabrielle Union a suivi le mouvement, publiant une lettre où elle affirme vouloir « s’engager dans des espaces qui valorisent véritablement l’inclusion, le respect et l’intégrité dans le monde numérique ».
Enfin, Alyssa Milano a supprimé son compte personnel et redirige désormais son audience vers BlueSky via le profil de son podcast Sorry Not Sorry.
Le départ massif de médias, d’institutions et de célébrités s’accompagne d’une baisse notable du nombre d’utilisateurs de X dans l’Union européenne. Conformément aux obligations de transparence imposées par le Digital Services Act (DSA), la plateforme a révélé que son nombre moyen d’utilisateurs mensuels est passé de 111,4 millions au cours des six mois précédant janvier 2024 à 106 millions au cours des six mois précédant juillet 2024.
Dans le même temps, les alternatives à X connaissent une explosion de leur fréquentation. BlueSky comptabilisait 20 millions d’utilisateurs au 20 novembre 2024, avec une augmentation d’un million de nouveaux utilisateurs par jour depuis le 15 novembre, selon son PDG Jack Dorsey. Mastodon et Threads bénéficient également de cette migration numérique, gagnant chaque jour des milliers de nouveaux inscrits.
Le 27 février à 19 heures, le Théâtre de la Concorde s’associe au Nouvel Obs pour organiser une scène ouverte autour de la campagne HelloQuitteX. Cet événement, qui se veut un espace de débat sur l’impact des réseaux sociaux sur la démocratie, réunira des experts comme l’historien David Colon, la militante Magali Payen et le journaliste Xavier de La Porte. Modérée par Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion, la table ronde abordera les enjeux politiques et sociaux du numérique, interrogeant la polarisation du débat public et les alternatives possibles à X.
La défiance envers Elon Musk commence à impacter sévèrement Tesla. En janvier 2025, la marque enregistre une chute drastique de ses immatriculations en Europe : – 60 % en Allemagne, – 63 % en France et – 8 % au Royaume-Uni, alors que le marché global des véhicules électriques est en croissance. Aux États-Unis et au Canada, des manifestations ont appelé les consommateurs et les investisseurs à se détourner de la marque. En France, un reportage de l’émission Quotidien révélait que certains propriétaires de Tesla avaient honte de rouler dans « la voiture d’un facho ». Le point de bascule semble avoir été le salut nazi effectué par Musk lors de l’investiture de Donald Trump, un geste qui a entraîné de nombreuses annulations de commandes et des reventes de véhicules. Cette proximité affichée avec le président américain alimente le rejet grandissant de l’entrepreneur et de ses entreprises.