Àl’occasion de la création de leur spectacle FRKS, Cult a interviewé les performeurs et metteurs en scène Igor Cardellini et Tomas Gonzalez à Vidy-Lausanne.
IC : Oui, car nous souhaitions créer quelque chose d’étrange, qui invoque, bien sûr, « freaks » — mot que l’on finit par prononcer, car il se prononce de la même manière, même en l’absence de voyelles —, mais qui soit légèrement distordu, modifié.
TG : Le mot « freak » est attaché au contexte de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, et au spectacle de Freak Show, dans lequel il a été utilisé pour désigner les curiosités humaines. Ce qui nous intéresse, c’est qu’il s’agit d’un terme sous lequel différentes communautés peuvent se réunir pour revendiquer des droits, sans nécessairement niveler les différences respectives de chacune d’elles.
IC : C’est également un terme qui fait référence à une marginalité radicale, laquelle recouvre plusieurs conditions, plusieurs identités, sans en désigner une en particulier. Tout à coup, nous avons affaire à un mot dont nous avons la sensation de bien comprendre la portée, mais qui conserve une forme d’amplitude, de largeur, qui nous est précieuse dans ce spectacle, car il joue un jeu de cache-cache avec le spectateur.
IC : Vidy, c’est notre maison de production. Nous y créons des spectacles depuis cinq ans. Une maison de production, c’est le théâtre avec lequel nous collaborons le plus étroitement, le plus naturellement.
IC : Oui. Cela signifie que Vidy apporte un soutien financier à nos créations.
TG : Oui. Cela se négocie pour chaque spectacle, mais concrètement, il y a des ateliers de création, de décors, de costumes…
IC : Le spectacle est le résultat d’une coproduction, c’est-à-dire que nous avons collaboré avec différents théâtres en amont, différents lieux, qui nous ont soutenus de manière différente. Parfois, c’est un espace de répétition, parfois c’est un soutien matériel et financier, parfois c’est du personnel technique. Cela dépend des lieux avec lesquels nous collaborons, et des ressources dont ils disposent.
TG : Je pense qu’il existe davantage d’opportunités et de ressources pour créer en Suisse qu’en France.
IC : Disons que cela dépend du point de vue adopté et des institutions avec lesquelles nous collaborons. Effectivement, le contexte devient assez difficile en France, avec des coupes dans de nombreuses régions. En Suisse, des coupes ont également été annoncées par la Confédération. Nous ne savons pas encore exactement quelles lignes budgétaires seront concernées. Nous faisons face à une dynamique structurelle. Mais c’est peut-être quelque chose que nous ressentons de manière un peu moins marquée. Je pense également que certains artistes, à un moment de leur carrière, ont su développer de solides réseaux avec des lieux, des institutions, qu’il s’agit de collaborations répétées, prolongées, et que de réelles relations se sont instaurées — cela joue aussi.
IC : Nous travaillons selon des géométries variables. Nous collaborons avec un collectif dont les artistes viennent d’Argentine et du Brésil. Parfois, nous sommes tous deux impliqués. Nous collaborons aussi avec une artiste genevoise. Et il nous arrive également de mener des projets de manière individuelle.
TG : Oui, j’ai le sentiment que certaines dynamiques se sont affinées au fil des années. Par exemple, lorsque nous rédigeons un texte, je réalise généralement la première version, et Igor revient dessus par la suite. Nous travaillons ensemble depuis sept ou huit ans, et nous sommes en couple depuis environ onze ans. De manière générale, lorsqu’il s’agit de réfléchir en images, comme pour ce spectacle, c’est Igor qui porte la vision. Il parvient assez naturellement à générer des impulsions, des constructions esthétiques, à imaginer les différents tableaux qui vont se succéder dans un spectacle. Je me positionne davantage comme son sparring partner, la personne qui renvoie la balle sur ces questions. Mais je dirais que c’est plutôt lui qui est la force de proposition.
IC : Il est vrai que notre manière de travailler s’est modifiée au fil du temps. Nous avons créé des spectacles très différents par leurs approches, leurs angles, et, par conséquent, par leurs esthétiques.
TG : Généralement, nous disons que nous créons aussi bien des pièces in situ que des créations pour salle de théâtre.
TG : Je pense que c’est comme s’il existait un continuum, et que nous étions attirés par deux pôles opposés. D’un côté, sortir du théâtre pour travailler à partir d’un contexte, d’un terrain, traiter l’environnement, le cadre dans lequel se déroule la performance, comme un décor et une fiction. Les villes, les quartiers, les constructions urbanistiques, les centres commerciaux, les immeubles de bureaux — tout cela constitue des décors pour nous. Nous menons un travail autour de l’architecture, de la performance, de la structuration sociale et du pouvoir. De l’autre, nous concevons un théâtre d’images, des formes très visuelles, qui fonctionnent à l’inverse des autres pièces, en proposant un monde visuel ex nihilo, surgissant de rien, d’un univers… Particulièrement dans ce spectacle, nous avons travaillé toutes les dimensions à partir d’une scénographie que j’ai conçue avec Romain Guillet. Elle nous sert d’activateur, de question traversante dans cette forme : celle de l’objectification, de l’invisibilisation, de la visibilité et de l’effacement.
IC : Je dirais que, dans un cas comme dans l’autre, ce qui nous intéresse aussi, ce sont les dispositifs. Lorsqu’il s’agit de créations à l’extérieur, c’est un dispositif spectaculaire ou performatif qui embarque les spectateur·ices dans une expérience bien particulière. Lorsque nous travaillons en salle, la question de la situation et de la position du public se pose également.
TG : Il existe toujours une forme d’installation ou une scénographie qui dialogue, comme un dispositif, avec la narration proposée dans la pièce.
IC : La plupart des spectacles que nous réalisons sont en frontal. Par exemple, celui présenté à la Ménagerie de Verre qui s’appelait Un spectacle. Dans cette pièce, nous sélectionnons une partie du public qui se retrouve sur scène. Mais, dans sa majorité, le spectacle demeure frontal.
TG : Nous avons rencontré la directrice, Marie Didier, il y a quelques années, lorsqu’elle dirigeait encore La Rose des Vents à Lille. L’idée de travailler sur le territoire avec notre projet L’Âge d’or, dans un site commercial, l’a immédiatement interpellée. Elle nous a programmés à la fois à La Rose des Vents et au Festival de Marseille.
IC : Cela fait désormais quelque temps que nous avons développé une relation. Nous sommes invités à travailler sur un lieu spécifique de Marseille pour la prochaine édition du festival. Dans ce spectacle, une actrice, une performeuse, guide un groupe de marcheur·euses, de spectateur·ices, sur un trajet d’une heure, vers une île voisine. Que cela soit littéral ou métaphorique. Personne ne connaît réellement la destination. Il faut accepter de se laisser guider.
IC : Ce que nous disons aux spectateur·ices, c’est que nous les emmenons vers une île voisine. Cela permet d’interroger ce terme, de voir ce que chacun·e projette sur cet espace.
TG : Sur l’acte de marcher, sur les flux humains, non humains, et sur l’exotisme. C’est l’un des projets que nous avons développés avec le collectif sud-américain. Avec les deux artistes brésilien·nes et les deux artistes argentin·es.
En tournée :
Maison Saint-Gervais Genève 10 – 13.04.2025
Centre de culture ABC La Chaux-de-Fonds 10 – 11.05.2025
Théâtre Benno Besson Yverdon-les-Bains 22 – 23.05.2023
Visuel : ©Aline Paley