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« Icon of French Cinema » : le « ridicule » nécessaire de Judith Godrèche

par Yaël Hirsch
15.01.2024

Revenue des États-Unis, Judith Godrèche est donc passée derrière la caméra pour proposer, sur Arte, une mini-série de six épisodes qui mêle autofiction et autodérision : Icon of French Cinema. Une œuvre drôle, tendre et sensible, où elle prend enfin la parole sur l’emprise qui l’a terriblement abîmée, adolescente.

Le retour de l’actrice prodigue

 

C’est donc en mère célibataire de deux enfants de deux pères cinéastes que Judith Godrèche se réinstalle à Paris. Mascara, gloss et voiles de star des années 1950 sur le visage, elle incarne « l’icône du cinéma français », revenue à Paris pour un rôle dans un grand film. Affublée d’une gouvernante dont elle prend soin et d’une agente un peu « newby » boulimique et anglaise, elle est confrontée à son passé. Non seulement parce qu’elle est de retour au bercail et retourne chez sa psy (et ceux de chacun de ses enfants) mais aussi parce que sa fille adolescente, Tess s’amourache du chorégraphe qui la fait travailler et a 20 ans de plus qu’elle. En flash-back reviennent les souvenirs de Judith à 14 ans sur le tournage de son premier film, avec les joues rondes, les yeux qui lui mangent le visage, l’emprise d’un cinéaste de 40 ans et pas l’envie d’être sa « poupée ».

 

Le fantasque pour couper court aux fantasmes

 

La série commence un peu comme un mélange d’Emily in Paris et du documentaire que Gad Elmaleh avait proposé de son retour des États-Unis. Sauf qu’au milieu du premier épisode, on se rend compte que c’est tout le contraire d’un glamour assignant les rôles, et beaucoup plus drôle que la série du comique français. Bien des choses se passent à Chaillot : les soirées de charité du 7e art français comme les cours de danse de Tess, la fille et complice de l’héroïne. Avec son agente, elle passe son temps à manger (et boire) de bonnes choses et il y a un sujet « dick pic’ » digne de Florence Foresti. Judith est également « allongée » en pleine crise sur divers divans, ce qui ne peut pas ne pas faire penser à En thérapie. Surtout quand Carole Bouquet fait une apparition ! Pleine d’autodérision (on adore « le doudou qui chante », son premier vrai rôle français), Godrèche résume sa filmographie à Bimboland dans la mémoire de ceux  et celles qui la croisent. Quand ils ne la mélangent pas avec une autre actrice… Juliette Binoche.

 

C’est fantasque, a priori léger, parfois « il y a de la génance » comme diraient ceux et celle qui ont grandi après #MeToo… Et pourtant, ce ridicule-là ne tue pas, il nous réveille. Les flash-back sont à la fois sauvages, simples et inexorables. Ils ne comportent jamais la moindre dose de mélo. Ce va-et-vient entre la femme-fleur plutôt plus épanouie qu’il n’y a paraît et l’enfant « émancipée » trop vite, permet de mettre au centre de l’image et de l’arène la vraie question : celle de la protection.

 

Fiction salutaire

 

La plus belle phrase du film sort comme une fulgurance. Judith Godrèche y raconte tout à sa fille : sa relation à l’âge de 14 ans avec un homme de 40, comment son père a laissé faire et aussi comment elle a participé à l’achat d’un appartement commun avec ce compagnon. Protectrice de l’enfant dans sa mère, Tess est choquée. Mais également amoureuse de son chorégraphe, elle dit que si sa mère a vécu une telle histoire, elle peut aussi le faire. « Je n’aurais pas fait un tel choix, si je t’avais rencontrée », lui répond Judith. Elle réussit donc là où ses propres parents ont échoué. Ainsi, dans ce conte aussi sombre que glossy, l’homme qui a abusé de la jeune actrice n’est jamais nommé. Il est d’ailleurs peut-être même une sorte de mix entre Jacquot et Doillon.

Avec le style faussement naïf de Icones of French cinéma, Judith Godrèche utilise l’arme du fantasque contre le fantasme pour mieux exprimer, 35 ans après, ce que l’emprise d’un homme, beaucoup plus âgé qu’elle, a fait. La série est également un film de nanas – certes parfois un peu nunuches quand elles rêvent leurs hommes –  alors que le seul personnage masculin chouette est incarné par Laurent Stocker en  puissant homme de cinéma. En effet, alors que Judith Godrèche a témoigné contre Harvey Weinstein, le producteur de sa série plane loin de tous les clichés : fan de skate et de solitude, il danse dans son bureau, comme un enfant ou un fou.

 

Le backlash du réel en 2024

 

Il est vraiment émouvant de voir comment Judith Godrèche s’empare de la caméra –  en tant que femme et aussi en tant que mère,  alors même qu’elle vit, dans sa carrière, une grande traversée du désert. Il y a parfois des maladresses, mais tout est dit dans Icon of French cinéma. Si bien que l’on aurait peut-être préféré que la lourdeur des hommes récidivistes ne la force pas à re-témoigner et mettre tous les points sur les «i». C’est malheureusement ce qu’a dû faire, le 6 janvier dernier, Judith Godrèche après avoir découvert un extrait d’interview de Benoît Jacquot datant de 2011. Ayant vu un documentaire de Gérard Miller, où le réalisateur de Sade et de Eva suggère que la différence d’âge excitait sa proie et que seul le cinéma permet cela, Judith Godrèche a publié un post nominatif sur son compte Instagram. Elle a aussi témoigné dans Elle et l’émission Le Quotidien. Il nous semble fou qu’elle ait dû être à ce point explicite pour faire passer son message principal…