« I Am Martin Parr » : Le photographe de la « chorégraphie de la vie »

Lee Shulman, entre mémoire collective et regard acéré sur le réel

Né en 1973 à Londres, Lee Shulman est un réalisateur et photographe britannique installé à Paris. Après des études de cinéma et de photographie à l’Université de Westminster, il se fait connaître dans le domaine de la publicité et du clip musical avant de se consacrer à un projet singulier : The Anonymous Project. Fondé en 2017, ce vaste fonds d’archives constitué de diapositives Kodachrome anonymes, principalement issues de la seconde moitié du XXe siècle, explore la mémoire collective à travers l’intime. En donnant une seconde vie à ces fragments du passé, Shulman interroge la manière dont les images façonnent nos souvenirs et notre rapport au réel.

Avec I Am Martin Parr, Lee Shulman livre un premier long-métrage aussi ludique que subtil, fidèle à l’esprit du photographe qu’il met en lumière. En tant que fondateur du Anonymous Project, Shulman partage avec Parr un goût pour l’ordinaire et une obsession pour l’image comme trace du réel. Son film dépasse le simple portrait pour interroger notre manière de regarder le monde. En alternant archives, entretiens et séquences tournées au plus près du photographe, il construit une narration fluide et immersive, où l’humour et la tendresse s’entrelacent pour capter l’essence même de l’art de Martin Parr.

Un photographe du quotidien

Martin Parr se fond dans la masse. Son physique ordinaire est son meilleur camouflage : il observe et attend patiemment que quelque chose se passe. Son regard, aussi humaniste que critique, capte la « chorégraphie de la vie » dans toute sa complexité, entre comédie et tragédie. Depuis ses premières photos en noir et blanc jusqu’à son tournant vers la couleur, son travail se construit comme une documentation sociale engagée : « Il y a un certain degré de politique dans mes photographies », affirme t-il. Ses premiers clichés révèlent déjà son humour et son excentricité, avec un intérêt profond pour la culture populaire et la classe ouvrière.

Du noir et blanc à la couleur, la plage comme « laboratoire d’expérimentation » 

Pendant quinze ans, Martin Parr photographie en noir et blanc.

Mais à la fin des années 1970, la couleur s’impose à lui. Parti vivre en Irlande pendant deux ans, il revient avec une nouvelle approche et une série emblématique : The Last Resort. Ses clichés, saturés et pris au flash, capturent sans concession la classe populaire britannique en vacances. Si certains lui reprochent une certaine cruauté, il revendique un regard honnête sur le monde : « Je ne pense pas que mes photos soient si crues et méchantes. Lorsque vous regardez, il y a toujours un peu de cela mais ce que j’essaie de faire c’est refléter ce que je vois d’une manière très subjective et de le transformer en photo ». Pour lui, « la photo parfaite n’existe pas », ce qui compte, c’est plutôt la série, l’histoire qu’elle raconte.

« La vie est naturellement étrange et drôle »

© Martin Parr / Magnum Photos

Martin Parr photographie l’ordinaire et ce que l’on ne veut pas toujours voir. « Il faut se concentrer sur ce qui se passe autour de soi », dit-il, « ressentir les émotions sur l’instant ». La difficulté du photographe est justement de faire en sorte que cette sensation s’imprime sur l’image.

Son sujet principal ? Les loisirs du monde occidental. Il déambule en toute discrétion, captant les excentricités du quotidien, des scènes absurdes de consommation effrénée aux situations burlesques du tourisme de masse. Martin Parr ne se considère par comme un photographe humoristique, son  humour est plutôt le reflet d’une réalité déjà dérisoire : « Les gens sont drôles, comment passer à côté ? ».

« Il faut être obsessionnel pour réussir en tant qu’artiste »

Son obsession lui vient de son père, grand passionné d’ornithologie, tandis que son grand-père l’initie à la photographie dès son plus jeune âge. À 13 ou 14 ans, une seule idée en tête : devenir photographe. 

Martin est également grand collectionneur de séries photographiques, évidement, mais aussi toute sorte d’objets, comme des montres à l’effigie de Saddam Hussein.

Martin Parr ne s’arrête jamais. Il photographie sans relâche, y compris lorsqu’il est hospitalisé. Sa femme explique qu’elle a su qu’il était en voie de guérison lorsqu’il s’est remis à prendre des photographies de ce qui l’entourait : personnel soignant, plateaux-repas…

La photographie est son mode de vie, « son moment de détente et de plaisir ». Il a fait de son travail une véritable célébration de la vie.

© Lee Shulman

« Je suis toujours aussi fasciné par ce monde si fou » 

Martin Parr a dérouté, provoqué des polémiques, notamment au sein de l’agence Magnum, mais son travail est aujourd’hui incontournable et profondément Cult. Il capte le « ying et le yang » de la Grande-Bretagne avec une subjectivité assumée. Loin de s’embarrasser de conventions, il reste fidèle à son regard critique, explorant sans relâche les travers de notre société. Son œuvre, d’une maîtrise technique impressionnante, a révolutionné notre manière de percevoir le quotidien, « il a pénétré notre inconscient visuel ».

Avec I Am Martin Parr, Lee Shulman nous plonge dans l’esprit et l’univers de cet immense photographe à la personnalité encore si mystérieuse. L’homme Martin danse de façon aussi drôle qu’il photographie, parle très peu mais est d’une grande fidélité et il a accompli « tellement de choses que même Superman n’aurait pas pu y arriver ». 

Un documentaire captivant et émouvant à voir absolument sur France TV et France 5 !