Hommage à Jean-Pierre Azéma (1937-2025)

Historien, une vocation familiale

Avec un père pilier du régime de Vichy, copain de Brasillach, engagé dans la Waffen-SS et condamné à mort par contumace (que, né en 1937, il n’a pas revu avant sa trentaine), et une mère qui a traduit l’ouvrage phare de l’Américain Robert Paxton sur la France de Vichy en 1977, Jean-Pierre Azéma portait probablement son domaine d’expertise dans son ADN, même si lui-même disait qu’il n’avait pas choisi de travailler sur Vichy pour débrouiller une lourde histoire familiale.

Il y eut son parcours sans faute d’historien : hypokhâgne et khâgne au lycée Lakanal (où il rencontre l’historien Michel Winock), l’agrégation en 1961, puis la thèse d’État sur ce qui restera son sujet : La France des années sombres, 1938-1949.

L’histoire au plus sombre du XXe siècle

S’il étudie « la collaboration », lorsqu’il travaille sur des figures de cette époque, ce sont d’ailleurs plutôt des résistants, notamment Jean Moulin (Perrin, 2003) et Jean Cavaillès (Flammarion, 2002). Grand vulgarisateur, il explique et réplique inlassablement Vichy, par écrit et dans ses cours. C’est lui qui signe le volume sur la période des années noires dans la Nouvelle Histoire de la France contemporaine (tome 14, De Munich à la Libération).

C’est aussi lui qui est conseiller historique de la série Un village français.
Historien engagé, il admettait à la fois n’avoir rien laissé de côté pour ausculter les arcanes du régime de Vichy, mais donnait aussi toute sa place à l’émotion en histoire. Sans ses entretiens avec la figure de résistant et galeriste Daniel Cordier, il n’aurait sans doute pas pu publier son Jean Moulin et rendre toute sa part d’humanité au héros.
Enfin, vent debout contre l’utilisation de l’histoire par le politique, il savait aussi l’importance du rôle public de l’historien. Il fut l’un des historiens entendus lors du procès de Maurice Papon, après avoir signé un rapport d’étude sur le rôle des statistiques dans la déportation des Juifs de France, qui mettait aussi en cause une institution comme l’INSEE.

L’enseignant à l’écharpe rouge

Mais c’est aussi – et avant tout – comme enseignant, aux lycées Lakanal et Henri-IV, puis comme professeur des universités à l’Institut d’Études Politiques de Paris et aussi au Centre de Formation des Journalistes, que Jean-Pierre Azéma influence des générations d’étudiants dans leur manière de percevoir cette période et d’en faire l’histoire.
En amphithéâtre Boutmy, rue Saint-Guillaume, l’homme à l’écharpe rouge, été comme hiver, racontait Jean Moulin et ses maîtresses, Radio Paris et Céline. Et il n’oubliait jamais de rappeler combien l’histoire est faite d’hommes et de femmes, qui restent des humains, même les « Grands Hommes ».

Hommage

Jean-Pierre Azéma avait la clarté des grands enseignants, le don d’accrocher son public avec des anecdotes toujours bien choisies. Il savait aussi donner le « goût de l’archive » à toutes ces générations de jeunes aspirants du Centre d’histoire de Sciences Po. Jean-Pierre Azéma fut aussi un grand transmetteur, sachant nous donner le goût de l’histoire des années sombres.
Derrière l’historien, nous nous souviendrons aussi de l’homme, qui s’intéressait réellement aux jeunes étudiants et futurs historiens qu’il avait en face de lui.
Au revoir, M. Azéma.