Depuis des années Harold Cobert change de genre et de thème pour interroger dans ses romans des ressorts essentiels de la psychologie humaine. Avec lui on a fait du surf au pays basque, de l’espionnage en Ukraine, de la guitare avec Jim Morrisson et bien d’autres choses … Le procès de Mein Kampf qui paraît ce mois de janvier aux Escales, est un roman documenté sur un épisode peu connu de notre Histoire et pourtant si proche du point Godwin. L’écrivain nous amène au plus près de la question du courage et de celle de la liberté. Rencontre.
D’une manière fortuite. Cela fait 20 ans que je cherche à écrire sur la problématique de la Deuxième Guerre mondiale et de la Shoah mais je veux absolument éviter les chiens et les trains … Après Primo Levi et Les Bienveillantes, je trouve que c’est difficile. Il faut trouver d’autres angles. Et cela fait 20 ans que je regarde toujours mais que je ne trouve pas l’angle. Et quand je travaillais sur Le Rouge et le Blanc, l’un de mes personnages, Nathalia, est tombé sur Mein Kampf avant que ce ne soit un succès. Et quand Hitler arrive au pouvoir, elle fait des pieds et des mains pour que Staline ne le lise pas. Je me suis donc dit qu’il fallait que je me renseigne sur le livre. C’est ainsi qu’en me baladant sur Wikipedia, j’ai vu un tout petit onglet : « Le procès français de 1934 ». J’ai ouvert et j’ai compris que c’était mon prochain livre., d’autant plus que 2025 marque le centenaire de la publication du premier tome de Mein Kampf.
Je n’ai pas beaucoup de mérite de ce côté-là car l’histoire me précède, à la différence de mon dernier roman, où j’ai créé les personnages de toute pièce. Les personnages du Procès Mein Kampf ont pour la plupart existé. Le général Lacase a vraiment existé mais il s’appelait le général Lachèvre. Piketty existe, Lecache existe, Vanikov existe, l’avocat Louis Galli existe, Abetz, l’horrible Abetz existe. Et j’ai tout de suite eu de l’affection pour le personnage de l’avocat parce qu’en commençant mes recherches, j’ai lu un article fait sur lui au début des années 1930 et j’ai découvert un personnage hyperactif et doué pour tout : photographe, avocat et vidéaste… La seule ombre au tableau est son appartenance au Faisceau. Une adhésion qu’il est difficile de comprendre aujourd’hui dans un moment où soit tu es fasciste soit tu ne l’es pas et où personne ne comprend la nuance personne. Or dans les années 1930, il n’y a pas qu’un parti en France mais 25 qui s’allient et se mésallient pour former des coalitions. Ce qu’on ne sait pas, c’est que le faisceau réunissait des gens d’extrême-droite, de droite, du centre, de gauche, d’extrême-gauche… sur une idée commune qui était d’avoir un pouvoir fort pour avoir une stabilité gouvernementale…
Hitler arrive au pouvoir en 1933. Il a publié le premier tome de Mein Kampf en 1925 et le second en 1926 et les a réunis. En 1933, 900 000 exemplaires ont été vendus d’un coup. Et il y a eu 14 traductions. Pendant toute l’année 1933, Hitler ne fait que dire que la frontière avec le Rhin est fixée, que la guerre fait partie du passé et qu’il veut la paix avec toute l’Europe et surtout avec la France. En France, 2 ou 3 anciens soldats de la guerre de 14, tous membres de l’Action française ou d’extrême-droite – et volontiers antisémites – disent qu’Hitler leur bourre le mou. Et ils demandent à de leurs amis germanophone de lire le livre et l’ami en question leur dit que cela ne sent pas bon. Ils diligentent Lachèvre pour trouver un éditeur qui serait d’accord pour en publier 4 ou 5 000 exemplaires, afin de les envoyer aux sénateurs, députés, journalistes, prêtres, universitaires, pour qu’ils en fassent écho et que l’opinion publique s’empare de cette problématique. Ils vont voir un éditeur d’extrême-droite antisémite et leur demande 50 000 francs. D’autant que l’éditeur sent qu’il va y avoir un procès, dans la mesure où ils cherchent à traduire illégalement le Chancelier d’Allemagne, qui avait refusé que Mein Kampf fasse l’objet d’une traduction en français. D’autant que dans chaque traduction de son livre, il retranchait à chaque fois des passages spécifiques aux pays de diffusion, pour ne pas dire ses visées internationales. Tous les textes sont escamotés. Finalement le livre sort. Hitler l’apprend, entre dans une fureur terrible. Il essaie de passer par la voie diplomatique, de faire pression sur le gouvernement. Finalement, ça ne marche pas et s’ouvre un grand procès au Tribunal de Commerce. Et ils échouent à alerter l’opinion publique.
Je crois que personne ne voulait imaginer qu’il y avait la possibilité d’une autre guerre. On est en 1934 et tout le monde veut surtout continuer de croire qu’une guerre n’est pas possible. Ensuite, il y a une grande partie de l’intelligentsia française qui n’est pas dérangée par le fait qu’Hitler veuille envahir la Russie parce que la Russie à l’époque est communiste donc correspond à un danger. Il y a aussi une grande partie de la population française pour qui l’antisémitisme est normal, qui ne remet pas en question. Il y a plusieurs livres qui sortent car Mein Kampf est une manne pour les éditeurs, ça faisait du chiffre. Et Grasset réussit ce tour de force de ne jamais dire que le texte est antisémite ou s’en prend aux Juifs. Et pleins de gens disent qu’ils ne sont pas d’accord avec Hitler sur la France, mais qu’ils le sont sur la Russie et les Juifs. C’est ce qui explique une partie de l’échec : l’opinion ne voulait pas et arrivait à trouver Hitler sympathique par certains endroits.
C’est une idée de mon éditrice Sarah. J’avais proposé le livre avec une reproduction du jugement parce que je me suis dit qu’il ne servait à rien que je le raconte ou que je le mette en scène. Je trouvais très intéressant qu’on lise ce document-là : le vrai jugement. C’est la première pièce que j’ai découverte parce que comme le procès a eu lieu au Tribunal de Commerce, il n’y a pas de greffe. Les débats n’ont pas été retranscrits. Je n’ai pu les reconstruire qu’à partir de cet arrêt qui revient sur ce que les différentes parties ont pu se dire. J’ai donc pu reconstruire à rebours comment les choses s’étaient produites. Et une fois le livre terminé, Sarah m’a dit que c’était très important qu’on reproduise les documents pour que ceux qui lisent comprennent à quel point cette histoire est vraie.
Harold Cobert, Le procès de Mein Kampf, Les Escales, 336 p., 21 euros. sortie le 26/01/2025
Visuel ©Ph. MATSAS / Les Escales