Première pré-sélection au prix Goncourt : les écrivains retournent aux sources

Et si, après un Goncourt décerné à Kamel Daoud pour son controversé Houris, l’un des plus prestigieux prix littéraires cherchait l’apaisement, le consensus ? Cette année, la pré-sélection donne à voir une palette de romans dont le point commun est l’intime et la quête des origines.

En attendant le 7 octobre, qui réduira la sélection à huit candidat·es, puis à quatre le 28 octobre, tour d’horizon des sujet traités par ces quinze écrivain·es en lice.

Trois favoris expérimentés

Les choix des thèmes traversés cette année se sont concentrés autour des déchirures et secrets familiaux, des rapports intimes et relations affectives. Parmi la quinzaine d’auteur·es pré-sélectionné·es, trois font office de favoris : les confirmé·es Nathacha Appanah, Emmanuel Carrère et Laurent Mauvignier, tous déjà multiprimés, sans toutefois avoir atteint le précieux graal.

Emmanuel Carrère et Laurent Mauvignier signent chacun un récit retraçant leur histoire familiale. Dans Kolkhoze, (P.O.L.), l’auteur de L’adversaire revient avec tendresse et parfois rudeur sur l’histoire de sa mère, l’académicienne – l’une des rares femmes de l’illustre institution – Hélène Carrère d’Encausse décédée en 2023. Le portrait intime de sa mère lui permet de parler de la grande histoire, celle de la Russie, pays d’origine de l’ancienne immortelle, et l’impérialisme russe. Laurent Mauvignier, quant à lui, La maison vide, (Minuit), ramène à la vie/mémoire, à partir de la demeure familiale, une à une les figures des ses habitantes, sa grand-mère Marguerite et la mère de celle-ci Marie-Ernestine. Il y tisse une histoire de ce premier XXe siècle, lacéré par deux guerres mondiales. L’écrivain de 58 ans a remporté le 3 septembre le prix littéraire « Le Monde » 2025 pour le même livre.

La mauricienne Natacha Appanah fait figure d’exception dans ce trio de tête avec La nuit au cœur (Gallimard). Elle y détaille trois récits de femmes victimes de violence conjugale, en prenant exemple sur son histoire personnelle. A 17 ans, elle subit les coups moraux et physiques, et met ce traumatisme en parallèle avec ceux de Chahinez Daoud et sa cousine Emma, toutes deux tuées par leur mari, l’une alors que plusieurs signalements avaient déjà été faits, l’autre en 2000, une époque où le mot « féminicide » n’était que peu voire pas mobilisé. Elle tente de déceler le mystère du féminicide, meurtre genré, connu de tou·tes mais encore trop rarement évité. L’écrivaine vient également d’être sélectionnée pour le prix Renaudot 2025.

D’autres récits sociétaux et personnels

Les autres auteurs de la compétition mobilisent aussi ce thème du retour aux sources. David Diop, dans Où s’adosse le ciel (Julliard), déroule une fresque dans laquelle Bilal Seck, gardien de la tradition orale, parcourt le Sénégal et l’Afrique après un pèlerinage à La Mecque. Il recherche les racines de sa communauté, selon lui les « descendants des Égyptiens ».

Yanick Lahens, Passagères de nuit Sabine Wespieser), prend, elle, le point de vue des femmes dont elle est la descendante. Elle y raconte le parcours vers l’émancipation de deux femmes au XIXe siècle, en même temps qu’une plongée dans l’histoire haïtienne, imprégnée des horreurs de l’esclavage.

Dans Le bel obscur (Seuil) Caroline Lamarche, le récit familial rejoint la trajectoire personnelle de la narratrice, mariée depuis des années à un homme, père de ses enfants, qui lui a récemment annoncé son homosexualité.

La sélection a aussi mis à l’honneur le thème de la maternité, avec le roman Tambora, (Verdier) d’Hélène Laurain. L’une des six femmes pré-sélectionnées par le prix y convoque la figure d’une mère qui file la métaphore de villes qui s’élèvent, pour parler de ses filles. En toile de fond, la possible fin du monde due à la crise environnementale, déjà entrevue en 1815 au moment de l’éruption du volcan Tambora en Indonésie.

Le Libanais Charif Majdalani livre, dans Le nom des rois (Stock), le récit de son enfance dans le pays où il a grandi.

Le prix Goncourt relève aussi des écrits proches de l’investigation, comme celui de David Deneufgermain, L’adieu au visage (Marchialy). Un psychiatre apprend à naviguer, entre horreur et survie, dans la France du covid-19. Il tente d’agir à son échelle pour prendre soin des vivants et des morts. Dans Perpétuité (Verticales) Guillaume Poix, fait plonger le lecteur, de l’intérieur, dans le quotidien des surveillants pénitentiaires d’une maison d’arrêt du sud de la France. Avec un aspect historique, la Seconde guerre mondiale, comme une ombre, est omniprésente dans ce livre Le crépuscule des hommes (Robert Laffon) du grand reporter Alfred de Montesquiou. Il prend le parti de suivre de l’extérieur le procès de Nuremberg, par celles et ceux qui l’ont suivi, les résistants, la presse, les témoins de ce moment d’histoire.

Ghislaine Dunant, Paul Gasnier, Maria Pourchet et David Thomas proposent aussi, entre rencontre amoureuse, accident de la route mortel, rupture et rapport aux troubles mentaux, des écrits sensibles, empathiques. Le souci de récompenser des récits à la première personne est perceptible dans cette sélection…