Du 6 au 21 février, Gaëlle Axelbrun met en scène son texte, Requin Velours à Théâtre Ouvert. Nous l’avons rencontrée à quelques jours de la première pour qu’elle nous parle un peu plus en précision de cette histoire de puissante résilience
Je dirais qu’avec Florence Weber, qui m’a assistée à la mise en scène, nous avons travaillé sur le rapport que chaque personnage entretient avec ce qui est raconté. Il y a les faits et il y a la façon dont chacune en parle, selon la distance avec les événements et comment ils ont été digérés ou non… Il y a des couches de colères, de tristesses et de traumas ravalés derrière chaque prise de parole de Roxane, mais elles ne sont pas accessibles dès l’entrée dans le texte. Elles surgissent à mesure que des barrières se lèvent.
Le choix du ring s’est vite imposé, car il porte l’univers de la boxe, du combat réel ou symbolique. Il constitue aussi un cadre, comme une scène dans la scène : pour rejouer des choses, pour s’exprimer par le corps et pour faire advenir une parole, il y avait besoin d’un cadre, qui protège les personnes au plateau, mais aussi le public.
Courir vers la mer m’évoque intimement quelque chose de fort : une mise en mouvement, une sorte de réunification avec un élément qui soigne (ou dont on aimerait qu’il soigne). Ça ne veut pas dire que ça « fonctionne », mais il y a quand même quelque chose qui s’y passe : il y a une rencontre qui réanime le corps, qui réinjecte de la vie. Courir vers la mer, c’est aussi courir vers soi, peut-être, vers sa propre profondeur psychique, symbolique.
Le rythme réside dans le texte lui-même et il est très important pour moi. Mais je dirais que nous avons cherché à rendre concrets et vivants même les passages les plus poétiques, pour qu’ils ne restent pas de la littérature mais deviennent des paroles incarnées. Je crois aussi que nous avons traité assez également le poétique et le cru ; sans établir de frontière entre l’un et l’autre : au fond, ils parlent de la même chose.
Pour Roxane, nous avons construit un personnage qui s’est forgé une armure suite à ses traumatismes, mais qui porte encore en elle une blessure vive : la tristesse inconsolable et le désespoir de ne pas pouvoir être réparée. Elle a des réactions « armures » (notamment l’humour), mais au fond, il y a quelque chose d’irrésolu, qui donne une rage et un mouvement au personnage.
Le fait même d’amener cette histoire devant un public est une tentative de réparation pour Roxane et les Loubardes. Il y a tellement d’histoires de viol classées sans suite, qui ne donnent jamais lieu à un procès, donc qui n’offrent jamais aux victimes le sentiment que leur histoire est entendue par le « corps social ». L’espace du théâtre n’est pas celui d’un procès, mais il est celui d’un corps social : un public. Avoir l’espace et le temps de déployer devant un « auditoire » une trajectoire, avec ses complexités, c’est déjà bénéficier d’une sorte de reconnaissance.
La création sonore (de Maïlys Trucat) et la lumière (d’Ondine Trager) prennent en effet beaucoup en charge cet univers aquatique. C’est un univers qui embrasse des contradictions, la pulsion de vie et la pulsion de mort. C’est l’espace où Roxane, peut-être, se transforme. La lumière et le son produisent ensemble des plongées et des émergences dans cet univers-là.
Requin Velours, du 6 au 21 février
Visuel : ©Alexandre Schlub