Frantz Fanon d’Abdenour Zahzah ne nous a pas franchement convaincues. Un film trop lent, une histoire trop complexe pour être capturée par des caméras ? Après Fanon de Claude Barny sorti en avril 2025, on espérait plus de ce nouveau film sur ce grand homme.
Cette année 2025 est marquée par les cent ans de naissance du philosophe et psychiatre Frantz Fanon. Pour l’occasion, le réalisateur Abdenour Zahzah s’attaque à la figure de ce personnage dans un long-métrage en noir et blanc. Il n’est pas le premier cette année à vouloir le mettre en lumière : le réalisateur Jean-Claude Barny a sorti lui aussi son film Fanon en avril, film aux retours mitigés auprès de la presse et du public. Entre erreurs chronologiques, fétichisation de l’homme noir, jeu plat des acteurices, ce premier film n’est pas parvenu à décrire et mettre en scène ce personnage qui a tant marqué l’histoire de la médecine mais aussi de la lutte contre le colonialisme.
On pensait qu’avec ce nouveau film d’Abdenour Zahzah, Fanon aurait le droit à une représentation plus proche de l’histoire et de la complexité du personnage. Cependant, on se retrouve encore déçues face à un film traînant et mou, ne représentant pas cette figure à sa juste valeur. Accompagné d’un jeu d’acteurice douteux et d’autant plus lent, le film est pourtant juste dans ses faits mais nous laisse avec une forme d’insatisfaction constante.
Les biopics ne font jamais l’unanimité : l’art cinématographique oblige à adopter un cadre spécifique, à couper, à ne pas être entièrement fidèle aux personnages qu’il cherche à représenter. Napoléon, Simone, Oppenheimer, Maria… Quel biopic ne s’est jamais attiré les foudres des spectateurices et des critiques ? La vie, la vraie, est si complète et complexe que la représenter en entier et fidèlement au cinéma, souvent en moins de deux heures, est mission impossible. Pourtant, avec Frantz Fanon, nous avions espoir : Abdenour Zahzah a eu l’intelligence d’adopter un cadre resserré sur la vie de Frantz Fanon, ne cherchant à représenter que les années 1953 à 1956, soit l’arrivée de Fanon en Algérie en tant que psychiatre. Mais visiblement, cela n’a pas suffit à faire honneur au grand penseur.
Pour ce qui est du personnage de Frantz Fanon, Abdenour Zahzah l’enferme dans une case trop simple, alors qu’il est un homme à la pensée philosophique avant-gardiste et très sophistiquée pour son époque.
Frantz Fanon est un docteur antillais noir, venu en métropole en 1943 pour s’engager dans l’Armée Française de la Libération. Cette expérience le marque car elle lui fait réaliser à quel point le racisme et le colonialisme sont ancrés en France.
En 1953, il part travailler en Algérie dans un hôpital psychiatrique en tant que médecin-chef. Ayant également suivi des cours de philosophie à l’Université de Lyon, il explore tout au long de sa vie sa pensée anti-coloniale et écrit plusieurs essais.
Le film de Zahzah ne reflète pas toute cette complexité. Le réalisateur décide de prendre un parti assez neutre quand il représente Frantz Fanon, le dépeignant comme un médecin qui fait face à un hôpital et un milieu médical défaillants. Pour autant, Abdenour Zahzah ne parvient pas à rendre son personnage impactant. Il a pourtant fréquenté l’Armée de libération nationale et le Front de Libération Nationale, et pratiquement toutes ses œuvres littéraires ont été écrites en Algérie. Cette matière intellectuelle n’est hélas pas utilisée dans l’illustration de Zahzah.
Peut-être que ce qui nous a dérangé est la décision du film de se concentrer sur le Fanon psychiatre et non philosophe. Un parti pris du réalisateur que nous aurions pu comprendre, si cela n’avait pas eu comme conséquence d’enlever au personnage une bonne partie de sa profondeur et de son importance. Il reste en surface sur ce qu’est la réelle pensée philosophique de Frantz Fanon, et ne daigne illustrer celle-ci qu’à un seul moment du film : lors de la conférence auprès d’étudiant.e.s qui ne dure que quelques minutes.
En somme, le film ne prend pas de risque politiquement ni philosophiquement, peut-être par pudeur du réalisateur face à la représentation d’un homme noir dans l’ancienne Algérie française. Abdenour Zahzah ne met pas en lumière l’homme noir qu’est Frantz Fanon, un docteur antillais dans une colonie française maghrébine, ce qui est assez décevant venant d’un réalisateur algérien. Il manque l’opportunité de traiter plus en détail une figure singulière à une période charnière de l’histoire : l’auteur de Peau noire, masques blancs face à l’empire colonial français en Algérie.
Cette neutralité dérangeante rend le film superficiel. Frantz Fanon n’est pas juste un médecin, il est un penseur, un militant, à cette période délicate de l’histoire que représente la Guerre d’Algérie.
Nous avons eu tout du long du film l’impression d’un récit qui ne s’assume pas. Frantz Fanon n’est ni réellement une fiction, ni réellement un documentaire. C’est un film qui danse entre les genres, sans vraiment savoir où se mettre. Choisir franchement une manière de représenter cette figure aurait probablement été plus intéressant – et personnellement, nous aurions opté pour l’option documentaire. D’ailleurs, les images d’archive présentées à la fin du film fonctionnent très bien ; nous aurions aimé en voir plus. Peut-être qu’un des problèmes du film tient au fait que toutes les archives liées à la guerre d’Algérie ne sont pas encore ouvertes, et que nous ne sommes à ce jour pas entièrement certain·e·s des liens précis que Fanon entretenait avec le Front de Libération Nationale. Auquel cas, montrer les enjeux autour de ces trous de connaissance, plutôt que de les fictionnaliser au sein d’un film qui se présente pourtant comme fidèle à la réalité, aurait peut-être été de meilleur goût.
Les biopics en général sont toujours très difficiles à réussir, et cette complexité semble d’autant plus dure à rendre compte à l’écran lorsque le protagoniste choisi est un·e philosophe, d’autant plus noir. Peut-être est-ce l’art cinématographique qui n’est pas adapté à des pensées philosophiques ? Et chercher à représenter un homme comme Frantz Fanon dont la vie a tourné en partie autour de la philosophie sans approfondir ces thèmes est peut-être nécessairement voué à l’échec ?
Film sorti en salle le 23 juillet 2025.
Visuel : ©Affiche du film