Pour ses 50 ans, la Fondation Cartier s’offre 8 500 m² en face du Louvre

Un vernissage à la fois international et parisien

Paris, 2 place du Palais-Royal. Face au Louvre, derrière les arcades dessinées par Percier et Fontaine sous Napoléon 1er, la Fondation Cartier pour l’art contemporain inaugurait ce lundi en présence de la presse internationale, des responsables du bâtiment et de nombreux artistes. C’est le directeur  de la fondation, Chris Dercon, qui a joyeusement et solennellement distribué la parole aux commissaires et aux architectes pour présenter le bâtiment qu’il a appelé une  « machine à voir », mais aussi  l’« Exposition Générale », qui s’est ensuite ouverte à nous…

Une « machine à voir » pour les 50 ans de la Fondation Cartier

Cinquante ans après l’iconique bâtiment du boulevard Raspail, Jean Nouvel signe à nouveau l’écrin de cette institution unique. « La Fondation Cartier, ce n’est donc pas uniquement son nouveau bâtiment, mais un quartier dans le quartier même du Palais-Royal, où son identité doit s’exprimer de façon exceptionnelle », explique l’architecte, absent lors de la présentation solennelle pour raisons de santé, mais dont le message a été transmis par son équipe (Dominique Alba, CEO, et Mathieu Forest, en charge du projet). Il s’agit donc de 8 500 m² accessibles, dont 6 500 m² d’exposition, soit cinq fois la surface du boulevard Raspail, en lieu et place de l’ancien emplacement des Grands Magasins du Louvre (1887-1977), puis du Louvre des Antiquaires. Conservant certains murs classés du XIX^e siècle, mais y ajoutant des matériaux plus modernes et le verre si cher à Jean Nouvel, le résultat fait 150 mètres de long, soit presque la longueur du Centre Pompidou… Et les cinq plateformes conçues par le studio peuvent monter et descendre sur 11 mètres de hauteur pour varier à souhait les paramètres de l’espace d’exposition. « Rien n’est permanent », résume l’équipe. Cette machine sera transformée à chaque exposition, comme un organisme vivant.

Quarante ans de création en simultané

« Exposition Générale » rassemble pour l’occasion 600 des 4 500 œuvres constituant la collection, qui s’est bâtie de zéro au fur et à mesure des expositions depuis 1984. Curiosité, ouverture et échanges internationaux : des artistes peu présents dans les musées occidentaux (Sarah Sze, Jivya Soma Mashe…) côtoient nos stars (Raymond Hains, Annette Messager, Gérard Garouste, James Turrell, Chéri Samba), dans une célébration des pratiques et des savoir-faire. L’exposition inaugurale, qui se déploie jusqu’au 23 août 2026, est à la fois une somme et un manifeste. Sur trois grands plateaux et trois étages, les 600 œuvres racontent quarante ans de création contemporaine internationale. Mais le véritable défi, comme l’explique le studio FormaFantasma en charge de la scénographie, c’est la simultanéité. « Dans la plupart des expositions, les visiteurs se déplacent d’un point A à un point B, avec d’éventuels détours, mais l’expérience demeure fondamentalement linéaire. Cette perception linéaire du temps est ici bouleversée – elle possède une certaine dimension cubiste », résume la commissaire Grazia Quaroni. Concrètement, cela signifie que tout est visible en même temps, que les regards se croisent d’un étage à l’autre et que le public compose son propre parcours. Il est néanmoins orienté par quatre grands ensembles thématiques qui structurent cette cartographie alternative de la création contemporaine : les frontales « Machines d’architecture » (un laboratoire architectural éphémère avec Alessandro Mendini, Bodys Isek Kingelez, Peter Halley, Jun’ya Ishigami), « Être nature » (une réflexion sur les mondes vivants avec Olga de Amaral, Luiz Zerbini, Santídio Pereira), « Making Things » (un espace d’expérimentation des matériaux et des techniques), et « Un monde réel » (des récits prospectifs mêlant science, technologie et fiction).

Le décloisonnement comme raison d’être

Fidèle à son habitude, la Fondation Cartier fait dialoguer des artistes peu présents dans les musées occidentaux avec des figures établies, mêle art, artisanat et architecture, vidéo et sculpture. Les œuvres iconiques de Bill Viola, Raymond Depardon ou l’installation immersive EXIT de Diller Scofidio + Renfro et une vidéo de sortie sur le temps qu’il fait filmant l’historien Paul Virilio côtoient des pièces plus secrètes. Dans des salles adjacentes, on découvre l’univers hypnotique de David Lynch ou les photographies intimistes de Francesca Woodman.

Un écosystème culturel complet

Au-delà des espaces d’exposition, la Fondation Cartier se pense comme un lieu de vie et de transmission qui va petit à petit éclore dans les prochains mois. Le Studio Marie-Claude Beaud, un auditorium de 110 places, accueillera performances et conférences. La Manufacture, espace pédagogique de 300 m² ouvrira au printemps 2026 et placera « l’intelligence de la main au cœur de son approche », en s’inspirant des traditions de transmission par le geste. Une librairie de 130 m² d’ores et déjà ouverte sur la rue de Rivoli complète le dispositif. Et pour celles et ceux qui empruntent le métro, une surprise les attend : en collaboration avec la RATP, la Fondation Cartier investit la galerie Valois de la station Palais-Royal – Musée du Louvre. Cette ancienne galerie commerciale Art nouveau de 1919, remise dans son jus pour des visions de Paris orné d’animaux fantastiques par Andrea Branzi et Stefano Boeri, relie le métro au nouveau bâtiment. Une manière de faire descendre l’art sous terre, là où transitent des millions de voyageurs.

Le magnétisme parisien retrouvé

En s’installant face au Louvre, la Fondation Cartier ne déménage pas : elle se réinvente et demande au ventre de Paris et à ses musées de repenser leurs frontières et leurs enjeux. C’est bel et bien ce que Jean Nouvel appelle le « magnétisme parisien retrouvé ».