Le metteur en scène Robert Icke revisite le mythe avec une distance qui laisse parfois peu de place à l’émotion ; sans empêcher la direction comme la distribution de porter le chef d’œuvre dans les hauteurs auxquels il a droit de cité au festival d’Aix-en-Provence.
Et si Don Giovanni et le commandeur n’étaient finalement qu’une même personne ? Partant du propos de Leporello en tout début d’opéra (« Qui est mort ? Vous ou le vieux ? »), Robert Icke s’autorise à renverser l’équation. Et si Don Giovanni avait été mortellement atteint ? Et si ce que nous voyons n’était qu’un mélange de rêves et de souvenirs ? L’idée est loin d’être absurde, mais il fallait un homme de théâtre pour la « mettre en musique ». Et si la proposition, loin d’être parfaite, permettait de réorienter le point de vue avec finesse et pertinence ?
D’autant que là où on a parfois fait de Don Giovanni et de Leporello des jumeaux, la proposition redonne de la chair à deux personnages bien différents et même une certaine épaisseur au second souvent malmené au profit du premier. Cela se traduit dans les physiques comme dans le voix forts différent.e.s d’Andrè Schuen, l’italien, et de Krzysztof Baczyk, le Polonais.
Évoluant sur des niveaux de scènes différents, la mise en scène prend parfois le risque de la confusion. Peut-être fallait-il juste prendre un peu plus les spectateurs et spectatrices par la main que Icke n’a décidé de le faire…
Il faut dire que la distribution qui nous est proposée est de haute volée et, surtout, qu’elle s’appuie sur la direction fabuleuse de Sir Simon Rattle à la tête de l’orchestre symphonique de la Radiodiffusion bavaroise (BRSO) En abordant, son premier Mozart à Aix, le maestro semble jouer de cette rencontre pour nous faire redécouvrir le chef d’œuvre avec la délicatesse dont il est coutumier.
On l’a dit, la différence remise au goût du jour entre Don Giovanni et Leporello s’incarne magnifiquement en Andrè Schuen et Krzysztof Baczyk qui portent haut les couleurs de leurs personnages. Et, paradoxalement, c’est Baczyk qui semble incarner le plus de prestance physique que son confrère devenu un Don Giovanni presque fantomatique. Cela étant, on ne sait quelle voix on préfère tant ils sont, tout deux, magnifiquement pertinents et en phase avec le propos de Icke. On peut en dire autant des Donna Anna et Donna Elvira de Golda Schultz et Magdalena Kozená, l’une avec sa voix de bronze impressionnante, l’autre apportant naturellement plus de sensibilité. Ce quatuor là où chacun joue sa partition avec sa propre individualité nous rappelle quel musicien de génie fut Mozart, notamment quand il s’agissait de donner corps à ses personnages. D’autant que les « seconds rôles » (en admettant qu’il en existe dans Don Giovanni) sont également à la hauteur, du Don Ottavio, certes un peu léger, d’Amitai Pati, du Commandeur de Clive Bayley, de la magnifique Zerlina de Madison Nonoa et de l’inquiétant Masetto de Pawet Horodyski.
Finalement, si nous avons pu être désorienté.e.s par la proposition de Icke, cela pourrait nous amener à regarder le spectacle avec des yeux différents une seconde fois. Une diffusion en vidéo nous aurait permis de le faire. Espérons-la.
Visuels : © Monika Rittershaus