Auréolé du Grand Prix AMI Paris à la Semaine de la Critique 2025, Fantôme Utile, premier long métrage de Ratchapoom Boonbunchachoke, propose différentes pistes réflectives sur fond d’électroménager hanté.
Le synopsis de Fantôme Utile en dit déjà long sur l’originalité du projet. Ce qui lui a d’ailleurs valu d’être l’une des curiosités sur la Croisette en mai dernier, en plus d’être le premier long métrage taïwanais sélectionné à la Semaine de la Critique. Après la mort tragique de Nat (Davika Hoorne), victime de pollution à la poussière, March (Witsarut Himmarat) sombre dans le deuil. Mais son quotidien bascule lorsqu’il découvre que l’esprit de sa femme s’est réincarné dans un aspirateur. Leur lien renaît, plus fort que jamais, mais il est loin de faire l’unanimité auprès des proches de March. Tentant de les convaincre de leur amour, Nat se propose de nettoyer l’usine dirigée par la belle-famille pour prouver qu’elle est un fantôme utile, quitte à faire le ménage parmi les âmes errantes.
Fantôme Utile s’ouvre avec des plans rapprochés fixes aux couleurs ternes, presque poussiéreuses, sur des humains et une chèvre posant tant bien que mal pour un sculpteur. En fond sonore résonne une version à la harpe de la cultissime chanson écossaise Auld Lang Syne, qui acte d’emblée le côté décalé de ce long métrage surprenant. L’ambiance semble posée, mais Ratchapoom Boonbunchachoke ne se contente en réalité pas de réaliser une comédie loufoque sur des appareils électroménagers possédés par des défunts. Sous son écriture inventive et son enveloppe formelle soignée, le film soulève des interrogations sociétales et politiques sur la famille, la gestion du deuil, l’amour, la différence, l’écologie, les conditions de travail plus que discutables dans les usines, ou encore la surveillance et l’étouffement exercés sans sourciller par les élites.
Après une ouverture parsemée de corps presque immobiles, Fantôme Utile s’apparente ensuite au prélude d’un film porno entre un homme autoproclamé « ladyboy intello » et un réparateur d’aspirateurs à la crinière peroxydée. Que nenni, ce dernier est en réalité celui qui va nous conter la trame principale du film : celle de l’idylle contrariée, mais non moins intense, entre March et sa femme Nat récemment ressuscitée en aspirateur rouge. Cet amour incongru donne lieu à des scènes cocasses qui décrochent régulièrement des rires francs, sous le regard médusé de Suman (Apasiri Nitibhon), la mère de March. Faisant la part belle aux plans fixes et aux cadres très travaillés, le réalisateur déploie d’autre part un côté home made avec les machines hantées, insufflant une authenticité étrange mais bienvenue à l’ensemble.
Si le film captive et amuse dans sa première partie, il souffre ceci dit d’un ventre mou en son centre. Tandis que Ratchapoom Boonbunchachoke multiplie les effets visuels, notamment des ouvertures et fermetures à l’iris lors de séquences rêvées par les différents protagonistes, les séances d’électrochocs subies par les ouvriers et le grand nettoyage de Nat pour tenter d’anéantir les fantômes se répètent et finissent par lasser par manque de rebonds narratifs. Pourtant, Fantôme Utile, loin d’avoir tout donné, nous rattrape habilement lors de son dernier acte en basculant dans le genre horrifique. En résulte un final âpre et percutant, qui rappelle qu’exterminer les âmes fantomatiques équivaut à enterrer des pans entiers d’Histoire. De quoi attiser la curiosité quant à la suite de la carrière de ce réalisateur détonnant, malgré les quelques petits bémols de ce premier opus.
Fantôme Utile de Ratchapoom Boonbunchachoke. Avec Davika Hoorne, Witsarut Himmarat, Apasiri Nitibhon… Thaïlande, France, Singapour, Allemagne. 02h10. Sortie le 27 Août 2025.
Visuel : © 185 FILMS CO., LTD.