Rencontre avec Éric-Maria Couturier à l’occasion du spectacle Alter Ego, présenté le vendredi 14 novembre à 18 h 30 et 20 h 30 à la Maison de la musique de Nanterre. Le violoncelliste Éric-Maria Couturier retrouve le maître du butō Akaji Maro pour une représentation à la croisée de la musique et de la danse. Ensemble, ils explorent la rencontre entre deux arts et deux cultures.
Je dirais que c’est une rencontre entre deux personnes qui se ressemblent, c’est d’ailleurs tout le principe d’Alter Ego. Akaji Maro est un créateur issu du monde du théâtre, avec un sens aigu de la mise en scène. Il a imaginé la scénographie, les miroirs, les lumières, et intègre la présence du violoncelliste.
De mon côté, je viens de plusieurs univers, d’abord la musique classique, puis la musique contemporaine. À ma façon, j’apporte aussi une présence scénique, car je performe debout, comme lui.
Il a rencontré de grands maîtres dans son domaine, tout comme moi dans le mien. J’ai une vingtaine d’années de moins que lui, mais j’ai eu le temps, depuis plus de trente ans, de côtoyer de grands maîtres. Nous nous rejoignons aussi dans nos histoires personnelles, lui n’a pas connu ses parents, et moi non plus, car je suis né au Vietnam pendant la guerre et j’ai été adopté.
Quand nous nous sommes rencontrés, il y a environ un an et demi à Tokyo, pour répéter, il y a eu tout de suite une évidence. Nous avons pu échanger librement grâce à un traducteur, et la création a pris forme. La première a eu lieu en septembre 2024 à Bruxelles.
Nous allons nous revoir la semaine prochaine, car il arrive demain pour renouer le contact avant le spectacle. Je suis actuellement à Aix-en-Provence, où je joue une partie du programme, les Suites de Bach et des improvisations, un programme que je donne aussi sous un autre titre. Cela me permet de rester dans cette dynamique de rencontre, fidèle à la mise en scène, au déroulé, et à l’ordre des pièces que nous avons créées.
Akaji Maro était à Paris pour un spectacle intitulé Gold Shower, un autre duo. Dans sa carrière, il n’a fait que deux duos, Alter Ego et Gold Shower avec François Chaignaud, aujourd’hui l’une des figures du Festival d’Automne.
C’est en voyant Gold Shower à Chaillot que j’ai eu un choc. La beauté des deux interprètes, leurs présences si différentes, m’ont fasciné. François Chaignaud est très sculptural, musclé, mais très féminin, et Akaji Maro, lui aussi, dégage une part de féminité à travers ses costumes, son immense perruque qui forme comme une crête de lion, en même temps il a un visage effrayant.
Après le spectacle, nous avons pris un verre dans le restaurant voisin. C’est sa femme, qui est aussi sa manageuse, qui m’a remarqué et a débuté notre premier contact.
Oui, je connaissais déjà le butō. J’allais souvent à la maison de la culture du Japon et j’y ai vu plusieurs spectacles. Pour moi, le butō, c’est un art où les corps ressemblent à des arbres morts, avec ce côté cendre, écorce brûlée, les visages blanchis par le maquillage.
Quand j’ai découvert la compagnie d’Akaji Maro, qui se nomme Dairakudakan, à Paris, j’ai été stupéfait. Ils dansaient avec un DJ donc pas du tout de la musique traditionnelle, dans une sorte de farandole lente, pleine de grimaces, avec des corps entièrement peints en or. C’était très beau. Pour moi, c’est un art qui continue d’évoluer grâce à Akaji Maro et sa compagnie. Il a certes connu les grands maîtres du genre, mais il s’est forgé seul, sans suivre de modèle. Petit à petit, il a créé sa propre manière de faire. C’est un novateur.
Pour moi la culture japonaise qu’on connaît en France est souvent celle des films de Miyazaki, des mangas et d’ailleurs les mangas primés au festival d’Angoulême ne sont pas si connus au Japon. Les artistes japonais que je rencontre appartiennent plutôt à l’avant-garde, ce sont des aventuriers. Ils voyagent, s’imprègnent de cultures différentes comme la culture afro-américaine, indienne etc., et en gardent le meilleur pour créer quelque chose de nouveau. Ils sont puissants, pas dans le son, mais dans les idées artistiques.
Ce n’est pas moi, c’est Akaji Maro qui les a choisies. Il a repéré dans la musique des moments d’improvisation possibles car c’est metteur en scène, il voit instinctivement ce qui lui parle dans la musique et ça lui donne une vision.
Il n’a pas choisi toutes les suites, seulement certains extraits, les plus difficiles au violoncelle. Ce sont les passages les plus exigeants, les plus virtuoses, donc cela me demande beaucoup de travail. Je pense qu’il a choisi cette musique car ça lui parle, par son épaisseur musicale.
Tout ce qui n’est pas écrit prend une autre tournure grâce à son geste. J’ai l’impression de suivre le personnage qu’il est en train de créer. Je joue exactement le texte, mais je me laisse guider par ce qu’il raconte avec son corps et j’ai l’impression d’improviser.
Il est comme un conteur, il y a une narration et je suis ses images. Son mouvement envoie des images, il commence en position fœtus, puis il y a quelque chose qui se réveille, émerge.
Je réagis à ce qu’il fait, c’est une improvisation à deux, à travers le son et le mouvement.
Il avait déjà défini une trame, ce qui est pratique, tout en laissant un peu de souplesse. Il a aussi été ouvert et souple, car nous avons essayé plusieurs musiques, même s’il avait déjà choisi.
Nous avons travaillé trois jours dans son studio à Tokyo, puis deux en septembre. On a eu assez de temps pour répéter la pièce.
Oui, bien sûr. Le côté fragile d’Akaji Maro va vraiment bien avec l’expression artistique. Il va tout donner en intensité. Et nous avons un projet autour d’Alter Ego prévu à Tokyo l’année prochaine.
Oui, nous avons envie de continuer à collaborer. J’aimerais lui proposer d’autres projets. J’ai envie de le revoir, de partager du temps avec lui.
Dans le monde de la musique classique, on ne connaît pas trop cet esprit de troupe, de compagnie, propre au théâtre ou à la danse. J’aime cet esprit, le fait d’être ensemble, de manger, de discuter, de laisser émerger des idées, de cette proximité.
Ce que nous souhaitons, c’est que les spectateurs, comme nous, entrent dans un autre état. Parfois, on a simplement besoin d’être en immersion, de s’échapper du quotidien. C’est pour ça que la culture est importante dans la vie, s’offrir un moment à soi, à rêver.
Notre spectacle est une forme d’abstraction, chacun peut avoir des interprétations différentes.
Oui, j’aimerais dire que j’éprouve un grand plaisir à cette proximité sur scène, aussi par la connexion avec l’instrument, car nous sommes trois avec mon violoncelle.
Mon violoncelle et mon archet sont des outils de perfection que je fais évoluer avec des artisans, notamment mon archetière, Claudia Carmona. Un violoncelle sans archet ne fonctionne pas, ça participe au son.
Ma manière de communiquer avec Akaji Maro passe par mon son, à la force de l’instrument et de la vibration. Toute la scène vibre et Maro aussi vibre dans son expression, ses mouvements, ses vêtements. On complète l’interaction chacun grâce à la vibration.
Visuel : © Dyod