Entretien avec Nathalie Le Corre, co-organisatrice du festival Next

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Nathalie Le Corre, je dirige l’espace Pasolini, un laboratoire artistique situé à Valenciennes, lieu qui existe depuis 1990. Nous sommes aussi co-organisateurs et cofondateurs du festival Next. C’est important, car au départ de ce festival, il y avait d’un côté « Scènes étrangères » à La Rose des Vents, un festival au centre d’art BUDA à Courtrai, et nous avions un festival qui s’appelait « Lignes de corps », dans lequel nous avons invité toute la Non-danse à partir des années 2000 : Alain Buffard, Xavier Le Roy, Jérôme Bel, Eszter Salamon, Claudia Triozzi, etc. Nous nous sommes réunis et avons abandonné nos festivals réceptifs pour créer le festival Next. C’est donc l’origine du festival Next : cette réunion territoriale, mais aussi nos expertises réciproques.

Ce qui est assez éblouissant avec Next, c’est que ça se déroule en France et en Belgique dans quasiment 30 lieux. Aujourd’hui, on voit ce genre de maillage pour des raisons intellectuelles, artistiques, mais aussi financières. Mais j’ai l’impression que pour Next, ce n’est pas là le moteur de base, il y avait d’abord un moteur esthétique et artistique. Est-ce le cas ?

Il y avait d’abord le moteur de la création artistique et du transfrontalier, l’idée d’un territoire élargi et transfrontalier, c’est ce qui fait notre force et je dirai aussi notre solidité. Aujourd’hui, Next est au-dessus de nos maisons réceptrices, c’est un projet à part entière. C’est donc un projet hyper solide, mais aussi hyper vivant, parce qu’il est alimenté par la diversité de nos structures. Nous sommes petits par rapport à une scène nationale ou un théâtre de ville comme à Courtrai, et pourtant, nous apportons notre expertise, notre savoir-faire et notre différence. Chacun amène sa diversité, et c’est ce qui fait l’originalité. Il y a aussi ces cultures belge et française, car en Flandre, ils ont une manière de fonctionner différente, et cela enrichit énormément le festival, ainsi que les artistes que nous accueillons.

Qui décide de la programmation ? Ce qui me frappe, c’est la cohérence entre la dimension internationale radicale, et en même temps, vous amenez aussi des grands noms, comme Miet Warlop, mais aussi des artistes moins connus, comme Katja Heitmann. Comment arrivez-vous à programmer entre grands noms et créations ?

C’est vraiment un fonctionnement horizontal, tous les programmateurs se réunissent une fois par mois, et il y a le même travail autour de la communication, des relations publiques, de l’administration et de la billetterie. Toutes les équipes se réunissent ainsi une fois par mois. C’est donc un fonctionnement, une gouvernance horizontale, collective et très partagée. On met sur la table les désirs, les projets, les rencontres. Les Flamands amènent des projets très intéressants, souvent flamands, allemands, luxembourgeois et côté français, c’est plutôt l’Espagne, l’Italie. On met tout ça sur la table, on discute, et on se fait confiance.

Combien êtes vous ?

Nous sommes cinq co-organisateurs. Côté français, il y a La Rose des Vents, l’espace Pasolini, Le Phénix. Côté Flandre, à Courtrai, il y a le centre d’art BUDA et le Schouwburg, qui est le théâtre de la ville de Courtrai. 

Vous êtes cinq, et cela veut dire que tout le monde n’a pas vu les spectacles ?

Non, il y a vraiment une confiance mutuelle qui s’est installée, donc il y a une prise de risque obligatoire à chaque fois. Par exemple, Katja Heitmann : j’ai adoré Motus Mori, ça m’a bouleversée, et du coup, on a eu envie de continuer le projet. Reliquiem a été construit chez nous. Ils sont venus en septembre, on a fait une version française pour qu’ils puissent tourner aussi. C’est un bel exemple de ce que permet Next, on a pu permettre à un spectacle de tourner en France, car la version française n’existait pas. Il y avait une version allemande, flamande et en plusieurs langues, mais pas le français. C’est donc quelque chose qui s’est fait ici. J’ai prêté ma voix moi-même, j’ai été actrice, j’ai travaillé avec eux deux jours. C’est aussi ça, Next : cette possibilité-là. C’est vraiment un fonctionnement horizontal, basé sur la confiance, l’attention et l’écoute mutuelle.

Autour de vous cinq, y a-t-il une ligne programmatique ? Est-ce que vous avez envie de montrer un thème, un fil ?

Non, on n’a pas de thème préétabli avant l’édition. Par contre, chaque année, on s’aperçoit qu’il y a des fils qui se dessinent, mais parce qu’on est à l’écoute des artistes. Par exemple, il y a le fil sur le colonialisme, porté par Yuval Rozman. Il y a donc des fils comme ça qui se dessinent au fil de la construction, mais qui viennent des artistes eux-mêmes et de leurs propositions. Le soin à la nature, à l’environnement, c’est aussi quelque chose de très présent dans ce que traitent les artistes actuellement. Je pense à la saison prochaine, on a déjà la notion de soin et de tendresse qui est en train d’apparaître. Mais ça vient des artistes et de l’écoute qu’on peut avoir de ce qu’ils ont envie de dire. On n’a pas de thématique préétablie.

Comment établissez-vous le lien entre les créations et les tournées ?

Il y a deux choses importantes. D’abord, l’attention aux créations et à ce qui se construit et se présente chez nous, cette année, on a cinq premières. Mais on a aussi une grande attention sur la façon dont on peut faire tourner un artiste dans le cadre de Next. Il y a donc des projets présentés côté français, côté belge, et dans différents lieux de nos partenaires, car après, on a une vingtaine de partenaires sur le territoire, ce qu’on appelle les partenaires associés. C’est très important pour nous, parce que c’est un maillage territorial important, et ça permet à des artistes français de faire leur première présentation en Belgique, et inversement. On essaie donc de construire des mini-tournées sur le territoire, pour que les artistes puissent présenter leur spectacle plusieurs fois. 

Est-ce que ça va jusqu’à de l’accompagnement au sens de coproduction ?

Oui, on a à la fois de la coproduction et des temps de résidence. Par exemple, Vincent Dupont est actuellement en résidence, il est coproduit par le festival Next et présente sa première la semaine prochaine dans Next. On a aussi Yuval Rozman, qui est coproduit en résidence et créera dans Next et va tourner, il y a plusieurs lieux de présentation. Donc oui, ce sont des choses auxquelles on est très attachés. On n’a pas énormément de moyens, mais c’est très important pour nous de valoriser par la coproduction, la résidence, l’accompagnement des artistes, et aussi des jeunes, car on accompagne des artistes émergents. Le BUDA et nous, l’espace Pasolini, sommes très sensibles à cela. Pour moi, c’est essentiel d’avoir des découvertes, des gens qui sont là, qui n’ont pas encore vraiment de nom dans le milieu, et de leur permettre de démarrer une carrière artistique, d’être découverts. Ce sont des prises de risque, parfois audacieuses, mais très importantes pour nous. 

Comment faites-vous pour vous en sortir, et quelles ont été les conséquences des coupes budgétaires sur votre festival ?

Aujourd’hui, je dirais qu’on a de la chance, car la région Hauts-de-France soutient le festival à hauteur de 130 000 euros, elle l’a choisi comme festival d’intérêt régional. On est donc très soutenus par la région Hauts-de-France. Côté belge, on est soutenus par la province flamande. On a donc ces deux financements solides, et il y a une vraie volonté politique, côté flamand et côté Hauts-de-France, pour que ce festival puisse rayonner sur les deux territoires. À ce financement, qui est quand même important, s’ajoute un petit financement de la DRAC Hauts-de-France, dans le cas du financement du festival, et la loterie belge, qui finance des projets artistiques à hauteur de 80 000 euros, dont fait partie le festival Next. Le festival Next est financé essentiellement de cette manière-là, et ensuite, chacune des structures finance le festival avec ses propres moyens. Mais le financement propre, c’est la région Hauts-de-France, la province flamande, la loterie nationale et la DRAC Hauts-de-France.

Vous avez aussi une attention aux publics, dans le fait de pouvoir faire en sorte que les publics circulent entre les lieux, parfois de façon un peu improbable. Comment le public fait-il pour aller d’un lieu à un autre ?

Il y a 40 navettes gratuites, donc les gens peuvent voir un ou plusieurs spectacles. On fait le samedi ce qu’on appelle les Citytrips, ils peuvent découvrir un lieu, une ville, une exposition, et le soir aller voir un ou deux spectacles. On les emmène, on les accompagne, on organise un petit apéro, on les prend en charge complètement. Cela leur permet d’abord de découvrir des lieux, des villes, de passer la frontière, et de profiter d’un ou deux spectacles, de temps en temps même d’un atelier ou d’une rencontre avec un artiste. Il y a donc cette proximité avec le public, qui est très importante pour nous. On essaie aussi de développer tout ce qui touche à l’accessibilité, on a des bus adaptés aux personnes en mobilité réduite, on surtitre nos spectacles dans les deux langues. Les Flamands peuvent venir en France, ce sera traduit, et de même pour le public français qui va voir un spectacle en flamand, ce sera surtitré en français. C’est vraiment une des règles d’or du festival, on s’est donné des obligations pour faciliter la mobilité et l’accueil des publics. On travaille aussi en audiodescription, par exemple, pour Reliquiem, il y a des spectacles adaptés aux publics sourds ou en difficulté. On a aussi des représentations relax.

Que sont les représentations relax ?

Ce sont des spectacles adaptés pour des publics qui peuvent bouger dans la salle, qui ont des problèmes neurocognitifs. On a développé cela, et on a un plan sur cinq ans pour développer l’accessibilité. C’est le projet Nexessible. On essaie de combiner des temps de rencontre, des projets participatifs avec tous les publics, y compris ceux qui peuvent rencontrer des difficultés pour accéder à un lieu de spectacle ou pour se déplacer. C’est donc très important, et ces navettes, qui existent depuis toujours, on essaie de les développer aussi.

Vous accompagnez le public dans ses déplacements, mais vous le faites aussi participer ?

Oui, le jour de l’ouverture, il y a une trentaine de participants flamands et français qui ont travaillé pendant une semaine avec la compagnie Zwoisy Mears-Clarke et qui réalisent une espèce de procession artistique, un peu dans le folklore de cette compagnie en Allemagne. Cette procession aura lieu à Lille samedi après-midi et ouvrira le festival.

C’est le seul spectacle qui va faire appel à des contributions extérieures ?

Oui, c’est le seul. Après, pour Reliquiem, il y a eu aussi un travail d’interview qui a eu lieu en septembre. Les artistes ont recueilli les mouvements, les discours de quelques personnes sur le territoire, ils ont accueilli des enfants, des personnes âgées, et tout cela va se retransplanter dans le travail en audiodescription.

Ce que j’aime chez Next, c’est le fait de décloisonner le spectacle vivant et de ne pas rester dans le théâtre, la danse, la performance. Je trouve que c’est quelque chose que vous faites très bien, on le sent quand on est sur place. Est-ce que c’est aussi compris comme ça ?

Oui, c’est vraiment notre volonté. Maintenant, je ne suis pas sûre que cela passe clairement pour le public.

La Belgique est plus en avance sur le décloisonnement des catégories du spectacle vivant.

Les Belges nous apprennent énormément, car pour eux, l’art vivant, c’est l’art vivant, point. Ils sont beaucoup plus audacieux que nous et prennent des risques plus facilement. Nous, on est encore très classiques, on a besoin de repères, d’être sécurisés. Je dirais donc que les Flamands nous aident réellement à sortir de nos sentiers battus. À Pasolini, on a tout le travail sur la performance, qui va avec les arts visuels, les arts plastiques, la philosophie, la psychanalyse, l’écriture, la littérature : tout cela est déjà présent chez beaucoup d’artistes de la performance. Mais il y a encore du travail à faire. Ce n’est pas encore abouti, mais c’est hyper vivant, et c’est ce qui est intéressant, ce travail de co-construction, de partage permanent, de remise en question. Le fait d’être plusieurs et d’être différents est un enrichissement énorme. Cela demande beaucoup de temps, car il y a beaucoup d’écoute, de dialogue, de discussion. Parfois, on pourrait se dire, quelle perte de temps. Mais pas du tout. Ce temps est nécessaire à la maturité du projet, et il nourrit le projet. Dans les temps qui courent, la solidarité, cette écoute des uns et des autres, et ce soin que l’on peut apporter, se retrouvent aussi au niveau des artistes. Moi, je trouve ça fabuleux, et c’est excitant aussi.