Entretien avec Lucien Zerrad sur le spectacle «Le fou» d’après Khalil Gibran à voir à Jazz’n Klezmer

À quoi faut-il s’attendre en arrivant à votre concert avec Mohanad Aljaramani autour du livre de Gibran : qui a composé la musique ? Cela va-t-il être instrumental, ou y a-t-il également des voix ?

La musique instrumentale est essentielle dans le spectacle, mais aussi de la musique que nous avons écrite ensemble avec Mohamed Aljaramani. Certains textes sont chantés sur de la musique, d’autres sont simplement dits, sans accompagnement musical. Quant aux mots, ils sont importants. À l’origine, le livre a été écrit en anglais et nous avons fait le choix de faire entendre le texte en arabe et en français. Tous les textes qui sont dits en arabe le sont aussi en français, parfois à un autre moment du concert : les mêmes textes existent dans les deux langues, mais pas à la suite. On a déstructuré la narration pour que les langues se répondent. Cela crée un écho qui est au cœur de notre musique.

Le spectacle s’intitule Le fou, quelle(s) partie(s) du texte avez-vous choisie(s) ?

Jouer le texte entier serait bien trop long. Nous avons donc choisi certains extraits, certains contes – ceux qui nous inspiraient le plus, et qui se prêtaient le mieux à une mise en musique. Comme je le disais, le français et l’arabe se répondent et l’arabe se prête à l’allongement des syllabes, ce qui en français sonnerait moins bien. Nous avons donc sélectionné des passages courts, qui permettent de jouer avec la langue et le rythme. Peu à peu, les évidences se sont imposées : nous avons choisi les textes ensemble, de façon naturelle.

Comment est née votre collaboration avec Mohanad Aljaramani ?

Cela fait longtemps que Mohamed et moi travaillons ensemble. Nous avions envie d’écrire, de créer un spectacle commun. Nous avons longtemps cherché le texte qui nous rassemblerait, et on est tombés sur Le Fou de Khalil Gibran, que je ne connaissais pas. J’avais lu Le Prophète il y a très longtemps, mais c’est Mohamed qui m’a fait découvrir Le Fou. C’est un texte magnifique, très inspirant.

Et celle de la danseuse, Gabrielle Weisbuch ?

Quand je suis parti m’installer dans la Drôme, quelqu’un m’a parlé d’une danseuse installée dans le même village. Gabrielle travaille avec plusieurs compagnies, notamment en Suisse. Je suis allé la rencontrer, je lui ai parlé du projet, et on a fait une première expérience ensemble, une petite improvisation de 45 minutes, lors d’un festival de danse.
Ensuite, Mohamed nous a rejoints. Tout s’est accordé naturellement : Gabrielle danse, elle a écrit une chorégraphie et elle évolue autour d’un agrès – un cube de tubes métalliques sur lequel elle grimpe, s’accroche, tourne. C’est à la fois une scénographie et un outil de création.

Ce texte de Gibran est-il pour vous sacré ou spirituel ?

Je ne dirais pas qu’il est sacré, mais spirituel, oui. C’est un texte poétique et philosophique, dans lequel chacun peut trouver quelque chose. Pour moi, il invite à la réflexion, au questionnement intérieur – pas dans un sens religieux, mais humain. Il parle de la recherche de soi, du rapport à l’autre et du regard qu’on porte sur soi. C’est plus une quête existentielle qu’une approche spirituelle au sens strict.

Ce spectacle a aussi une portée symbolique forte en ce moment…

Oui. Je remercie d’ailleurs Jazz’n Klezmer de le permettre aussi bien au Centre Rachi qu’à l’espace Tonkin à Lyon. Pour Mohamed, qui est druze, la situation est très difficile depuis le 7 octobre – et même avant. Mais nous n’avons pas voulu poser ce spectacle comme un acte politique. Ce que nous défendons – et je parle pour nous trois –, c’est la liberté, le lien humain. Quand nous travaillons ensemble, on met en avant ce qu’on a en commun plutôt que ce qui divise. Même si on en parle beaucoup entre nous, ce n’est jamais un problème. Jouer ce spectacle au Centre Rachi, c’est aussi un signe : si on peut porter un message de paix, d’amour et d’ouverture, alors la mission est accomplie.

Et maintenant ?

Nous en sommes au tout début de cette aventure. L’idée, c’est de faire vivre le spectacle, de le jouer le plus possible. On sera à Lyon, à l’Espace Tonkin, le 9 novembre.
Je n’attends pas plus d’un public que d’un autre : je suis juste heureux que ce projet prenne vie dans le cadre de Jazz’n Klezmer. J’espère simplement que le public le recevra avec ouverture. Ceux et celles qui viennent voir ce genre de spectacle ont déjà cette curiosité d’esprit. Après, chacun jugera de la qualité du spectacle, mais nous, nous proposons quelque chose de sincère, sans posture. C’est un travail en mouvement, qu’on ajuste tout le temps.