Pour son quatrième long-métrage, Lucile Hadžihalilović revisite le conte de la reine des neiges de Hans Christian Andersen. Entre belles images à l’allure souvent psychédélique, narration un peu mystique et scénario parfois douteux, La tour de glace est un beau film mais n’arrive pas à nous émouvoir et ne semble pas poser de vraies questions de fond.
Dans les années 1970, Jeanne, 15 ans, orpheline, décide de fuir le foyer en montagne où elle habite pour aller découvrir la vie en ville. N’ayant nulle part pour dormir, elle trouve refuge dans ce qui semble être un hangar abandonné. Pourtant, on se rend rapidement compte que Jeanne se trouve en réalité sur le lieu de tournage d’un film adaptant le conte de la Reine des Neiges d’Hans Christian Andersen. La jeune fille va alors faire la rencontre de Cristina van der Berg, actrice principale du film, toute aussi froide que son personnage, et une relation intense et toxique va s’installer entre les deux protagonistes.
Une chose à saluer dans ce long-métrage est le soin apporté aux images : dès les premiers instants du film, on se délecte des longs plans tournés dans les montagnes, et chacune des images ensuite, que ce soit en ville ou dans les plans de cinéma mis en abîme tout au long du film, est soignée tant dans les couleurs que dans le cadrage et la composition. Les plans souvent longs, prenant leur temps, nous font apprécier ce travail, et La tour de glace est indéniablement un très beau long-métrage visuellement – mais cela rattrape-t-il le reste du film ?
Assez vite, on a l’impression que le fantastique met peu de temps à pointer le bout de son nez, avant de se rendre compte que nous sommes en réalité en plein tournage. La tour de glace floute les barrières entre film et réalité : on ne sait jamais exactement où est-ce que le monde réel s’arrête et où est-ce que le décor de cinéma commence. Les personnages eux-mêmes sont construits autour de cette ambiguïté : la reine des neiges est hautaine, méprisante, exigeant que tout un chacun lui obéisse, et en cela elle se confond avec Cristina, actrice capricieuse imposant ses besoins et son emprise sur les gens autour d’elle. La jeune Jeanne, qui finit par obtenir elle aussi un rôle sur le tournage du film, est tout aussi lourdement fascinée par la reine des neiges dans le film que par Cristina dans la vraie vie.
La tour de glace se veut reflet des contes d’Andersen, tant dans les personnage utilisé·e·s que dans le mode de narration – avec une voix off racontant l’histoire comme si on nous lisait un livre. La réalisatrice Lucile Hadžihalilović veut d’ailleurs tant coller au style des contes pour enfants qu’elle oublie d’en retirer une des facettes dont on pourrait pourtant se passer : celle des portraits trop courants de relations toxiques, allant de l’emprise d’une personne sur une autre à l’agression sexuelle à peine reconnue comme telle – et le fait que les deux protagonistes soient des femmes ne change rien à l’affaire. Très vite, on assiste à une relation profondément problématique entre Cristina (jouée par Marion Cotillard) et Jeanne, adolescente incarnée par Clara Pacini. Une relation entre une figure maternelle et une jeune orpheline ? Entre deux doubles ? Entre deux amantes ? Le fait même que nous ayons à nous poser cette question alors que l’une a 15 ans et que l’autre est une femme mûre est contestable.
Bien sûr, le film ne vient pas encourager ce genre de relation : il pose la question de l’emprise entre deux êtres, de la manière dont les adultes peuvent emmener les enfants dans leur propre noirceur, et de la fascination que l’on peut avoir, surtout jeune, pour des personnages magnétiques. Et pourtant, aucune conclusion ne semble être apportée, aucun message ne semble être envoyé. Nous voilà alors dans une forme d’incompréhension face à un film se voulant contemplatif, parfois mystique, beau dans sa forme mais sans questionnement de fond évident.
La tour de glace de Lucile Hadzihalilovic avec Marion Cotillard et Clara Pacini, 1h58, film en salle le 17 septembre 2025.
Visuel : ©3B-Davis-Sutor Kolonko-Arte