La Scène Nationale de Bayonne a été le théâtre d’une expérience sensorielle intense ce mardi 18 février 2025. EMPIRE, la dernière création de la compagnie La Zampa, a saisi le public dans un tourbillon de mouvements précis, portés par une mise en scène où chaque détail compte. Dans un décor minimaliste mais évocateur, les danseurs sculptent l’espace de leurs corps, explorant les tensions, les chocs et les silences avec une précision redoutable.
Tout est millimétré, et pourtant rien ne semble figé. Les interprètes avancent, reculent, s’effondrent et se relèvent dans une partition rythmique implacable. Chaque geste semble répondre à une nécessité intérieure, un besoin viscéral de dire quelque chose du monde et de ses fractures. L’absence de narration linéaire laisse place à une puissance brute, une urgence à exister à travers le mouvement.
Les corps sont sublimés par les costumes des danseurs, auxquels une attention particulière a été donnée : plus le spectacle avance, plus les costumes sont travaillés, s’uniformisent pour devenir plus excentriques encore. Les couleurs, les textures, les frous-frous, les plumes, les fleurs ; les éléments viennent et vont au grès des cycles de révoltes pour déjouer l’Empire et son autorité.
© Franck Alix
Le plateau, constitué de vingt-cinq tatamis vert pâle, devient un champ de force où se confrontent attraction et répulsion. Les six corps des danseurs-passagers s’attirent, se repoussent, s’enlacent puis se rejettent, dans une dynamique qui oscille entre fusion et déchirure. Les lumières, tantôt crues, tantôt tamisées, découpent l’espace en zones de tension où chaque danseur semble se battre contre une gravité invisible, comme autant de pressions contre lesquelles nous nous débattons.
La bande-son, mêlant nappes électroniques et percussions organiques, soutient cette montée en intensité, jouant sur les contrastes entre moments de suspension et explosions sonores. Le musicien est assis à droite de la scène, attentif aux danseurs qui l’entourent et muni d’une guitare électrique dont les cordes ont été coupées et abimées. Marc Sens utilise en effet des objets et les transforme en mélodie. Ainsi, il dérive la manière traditionnelle de jouer de la guitare pour créer une musique qui enveloppe les danseurs et les spectateurs dans une atmosphère hypnotique, presque irréelle, où le temps semble se distordre.
© Franck Alix
L’empire se dresse et affirme sa verticalité. Dès son évocation, il impose sa puissance, sa hauteur et la tension de son développement. Mais il n’est jamais stable, toujours menacé par sa propre chute. Ce fragile équilibre se retrouve au cœur du travail de La Zampa, qui interroge la manière dont les systèmes s’organisent, se déploient et s’effondrent.
Pour enrichir cette réflexion, la compagnie s’est plongée dans les dynamiques du judo et de la contredanse anglaise. Aux côtés du judoka Guillaume Bertrand et de la spécialiste de danse Cécile Laye, les chorégraphes Magali Milian et Romuald Luydlin ont expérimenté ces disciplines, explorant la chute comme moteur de recomposition. Chaque interprète a également été invité à revisiter ses propres références physiques, ce qui confère à Empire une gestuelle singulière, en perpétuelle métamorphose.
Dans cet espace mouvant, il n’y a ni maître ni soumis, juste une succession d’agencements et de déséquilibres, un flux continu entre construction et effondrement. La couronne de fleurs passe de têtes en têtes en l’espace de quelques instants : les danseurs bâtissent des empires éphémères, les déconstruisent aussitôt, réinventent sans cesse de nouvelles structures. Ils oscillent entre ordre et chaos, cherchant les interstices où naissent d’autres possibles.
Empire est une œuvre qui ne laisse pas indemne. Par sa radicalité, son exigence et son engagement total, la compagnie offre un moment de danse où la virtuosité technique se met au service de la perception et de l’émotion : un choc esthétique et sensoriel d’une grande modernité.
Visuel : © Franck Alix