La première école dédiée à la musique à l’image ouvre ses portes à Châteauroux à la rentrée 2025. Cult.news a interviewé la co-fondatrice, avec Xavier Couture : Emmanuelle Gaume Pionnière et pluridisciplinaire, forgée sur le modèle des écoles de cinéma, l’EICMI : École Internationale de Composition de Musique à l’Image devrait ancrer un pôle audiovisuel dynamique et puissant en Indre.
J’ai été journaliste radio et de télévision pendant 35 ans. J’ai présenté des émissions populaires, comme Exclusif sur TF1, qui réunissait tous les soirs jusqu’à 8 millions de téléspectateurs. J’ai aussi été présentatrice de mes propres émissions sur France Musique. Mon parcours est éclectique, allant de la culture au divertissement. Mais la musique à l’image est une passion plus ancienne. Dès l’âge de 3 ans et demi, je m’endormais en écoutant de la musique. Ce sont mes premiers souvenirs de bonheur et un territoire fabuleux pour l’imaginaire. Un jour, j’ai vu Les Enfants terribles de Melville d’après Jean Cocteau, avec le concerto pour quatre claviers de Bach, et là, je me suis dit : c’est ça que je veux faire plus tard.
Mais je suis née à la fin des années 1960 et je suis arrivée dans le monde des médias à une époque où les femmes avaient surtout leur place devant la caméra, pas derrière. Naturellement, je me suis retrouvée à l’écran, alors que mon désir profond était de créer de l’image. En 35 ans, d’ailleurs, je n’ai pas croisé beaucoup de réalisatrices à Canal+, TF1, France 2, France 3, Arte… Beaucoup d’assistantes de réalisation, mais peu de femmes aux commandes. C’est pour cela que je m’intéresse à l’une des pionnières, Alice Guy, sur laquelle j’ai écrit un livre en 2015 et je suis passée derrière la caméra pour l’adapter en série par Wild Bunch et France Télévisions. Par ailleurs, je vis depuis près de dix ans en Centre Val de Loire et mon compagnon, le producteur Xavier Couture, a eu envie d’organiser des concerts de musique de film dans la région. C’est ainsi qu’est née l’idée d’une académie, en marge d’un festival. En travaillant sur cette académie, j’ai réalisé qu’il n’existait pas en France d’école dédiée à la musique à l’image !
Et bien non, on trouve bien quelques formations à la marge dans des conservatoires. Mais elles sont dédiées à des musiciens qui savent déjà écrire. Et aucune structure post-bac n’a auparavant été pensée. C’est fou : nous avons de grandes écoles qui forment des réalisateurs, des scénaristes, mais aucune pour former spécifiquement des compositeurs de musique pour l’image.
Oui, clairement. En France, on a cette manie de classer la musique : d’un côté la « musique savante » des conservatoires, de l’autre, la musique populaire et la musique de film, qui seraient « inférieures ». Ce snobisme est absurde. L’écriture musicale s’apprend, elle demande autant d’exigence que pour écrire le français, l’allemand ou l’espagnol. Mais c’est aussi peut-être lié à deux autres aspects de culture française : ici, si vous n’avez pas publié un livre, vous n’êtes personne. On privilégie l’écrit, puis l’image, et très loin derrière… la musique. Et puis, probablement avec la querelle suscitée par la loi de 1905, il y a moins de formation à la musique par les chorales des paroisses. Ce qui fait que nous n’avons pas n’a pas un rapport aussi naturel à la musique que dans d’autres pays comme l’Allemagne, l’Angleterre ou les États-Unis. La musique est moins ancrée dans la culture populaire. Pourtant, dans certaines campagnes comme dans le sud de l’Indre, on voit renaître des fanfares où enfants, ados, adultes et seniors jouent ensemble. Ce sont des lieux merveilleux. Aujourd’hui, il ne reste plus que le conservatoire, avec un parcours ultra-exigeant : il faut commencer très tôt, viser le troisième cycle, maîtriser déjà l’orchestration et l’écriture. C’est inaccessible pour beaucoup, et profondément injuste.
Nous l’avons structurée sur le modèle des écoles de cinéma, avec trois ans de licence, deux ans de master et des spécialisations. La maquette pédagogique prévoit plus de 30 heures de cours par semaine, du lundi au vendredi de 9h30 à 17h, avec également des soirées de masterclass, avec notamment celle de notre parrain, Gabriel Yared — la marraine est Julie Gayet — qui viendra rencontrer les étudiants au cinéma historique de Châteauroux, L’Apollo. La leçon sera évidemment ouverte au public du Centre-Val de Loire. Et nous avons beaucoup de chance, car notre équipe pédagogique est exceptionnelle : il y a notamment Hadrien Locciola, aujourd’hui professeur au conservatoire de Châteauroux et le compositeur de musique à l’image, Emmanuel d’Orlando.
Nous accueillerons une quarantaine d’étudiants, répartis en petits groupes de 5 à 10, venus de toute la France. Car la musique ne s’apprend pas dans des amphis de 40 personnes. Nous activons dès maintenant notre communication en Europe : nous aimerions accueillir aussi des étudiants étrangers.
Par ailleurs, l’école est accessible, les frais d’inscription sont de 7 500 euros par an, ce qui fait de l’EICMI l’une des écoles de cinéma les moins chères de France, grâce à un financement venant principalement des territoires. Nos plus grands soutiens sont Châteauroux Métropole, la région Centre-Val de Loire, et le département de l’Indre. Nous ne voulons pas devenir une énième école privée et hors-sol : l’EICMI est une école ancrée dans son territoire, pensée pour durer.
Pour l’instant, nous nous concentrons sur l’école. Xavier a très envie de lancer un festival. Ce sera la conséquence naturelle de l’implantation réussie de l’école dans la région. Une suite logique, en somme.
Visuel : © DR / EICMI