Égalité et hospitalité, Moving in November bouscule l’idée de représentation à Helsinki

Repenser la représentation

Dans ce festival d’art vivant, nous avons pu voir des spectacles au sens traditionnel du terme sur le papier. C’est-à-dire qu’ils se déroulaient dans un lieu, à un moment donné. Mais une fois sorties de ces considérations, il faut entrer dans le détail. Que ce soit pour Work Body, Maze ou l’installation d’Antonia Atarah : Don’t Thank for the Food, dont nous allons vous parler ici, le public s’est retrouvé à être une partie prenante de la représentation. N’imaginez pas des pièces participatives, c’est autre chose. Le public est mis à contribution dans le sens où sa présence active est nécessaire à ce que les pièces puissent exister. Kerstin assume cette volonté de mettre en place ce que nous nommons une horizontalité du public : « (…) c’est une décision que vous pouvez retrouver dans toutes mes éditions. Il y a toujours des propositions qui demandent au public d’être présent d’une autre manière. Je m’intéresse beaucoup à la relation entre le public et les artistes, et je trouve cela très triste, souvent, qu’après les spectacles, les deux mondes se séparent. »

La soupe comme espace de convivialité

Ici, le spectacle devient un flux. Immédiatement après la sortie de salle, une soupe délicieuse nous attend, comme si un pot de première avait lieu chaque soir. C’est l’occasion de parler à son voisin ou sa voisine, avec celui ou celle avec lequel ou laquelle nous venons de partager l’espace de regard du spectacle. Elle raconte : « C’est pour cela que l’on a pensé à créer ce moment autour d’une soupe, pour que les spectateur·ices ne rentrent pas tout de suite chez eux et elles, que le public se sente accueilli, que ce soit toujours un soir de première pour lui. ». La soupe, nous la retrouvons aussi lors des rencontres, les soup talks qui réunissent des artistes et des universitaires lors d’une conversation d’une heure trente en public.

Le maximum de ce symbole, de la nourriture comme accueil, a été incarné par cette proposition aussi horizontale et plurielle : réuni·es autour d’une vision commune de création, d’émancipation et de partage, ces artistes et collectifs dessinent un paysage multiple de la scène afro-finlandaise contemporaine. L’actrice décoloniale Antonia Atarah, la costumière et artiste textile Mirjam Yeboah, ou encore le danseur et pédagogue Julian Owusu explorent chacun·e à leur manière les questions d’identité, de collectif et de transmission. Autour d’eux gravitent la lumière dramaturgique de Katinka Ebbe, les voix engagées d’Edit Williams et du rappeur äffä, ainsi que les expériences d’éducation et de médiation de Linus Atarah, Nana Thomson et Soila Shah. Des structures comme Good Hair Day, Muudi, Pehmee Collective et POC-lukupiiri prolongent ce mouvement en créant des espaces de représentation, de soin et de joie partagée — affirmant, par l’art et l’action, une communauté en mouvement. Tout ce monde est réuni dans un espace extrêmement chaleureux où l’on peut dormir, lire, parler, danser et… manger ! La performance, qui dure six heures, s’accompagne d’une recette du père d’Antonia, qui cuisine, en compagnie de l’équipe, un délicieux ragoût à base de banane plantain.

Dans toutes les performances vues, et surtout vécues, l’idée d’une décolonisation du regard est très forte. Abolir la hiérarchie descendante qui va de l’artiste au public passe par cette idée de mise au même niveau des regards, de prise de possession des espaces, au point que la présence de chacun·e devienne un maillon de la représentation.

« C’est un acte politique, montrer qu’une scène diverse et vivante existe et mérite d’être soutenue. »

Cela demande d’être solide sur sa programmation, ce qui, en temps de disette culturelle, n’est pas rien. Il serait évidemment plus simple de programmer de grands ballets pour de grandes salles, mais Moving in November ne joue pas dans la cour de la facilité. Du point de vue financier, les choses vont mal, comme partout : « Chaque projet international que nous souhaitons présenter exige des financements supplémentaires, fondations, ambassades, Institut français… Depuis six ans, nous demandons sans cesse de l’argent pour inviter des artistes locales, mais nous n’en avons jamais eu. L’année dernière, plusieurs artistes nous ont contacté·es : “Nous avons des fonds, mais pas d’espace, pas de contexte. Peut-on créer ensemble ?” Nous avons alors compris qu’il fallait penser plus large. La scène locale est riche et qualifiée, l’Université forme des chorégraphes et danseurs de haut niveau, y compris des étudiants internationaux. Pourtant, les théâtres et festivals peinent à offrir un cadre serein pour la création. C’est un acte politique, montrer qu’une scène diverse et vivante existe et mérite d’être soutenue. Accueillir des artistes internationaux, oui, mais il faut aussi organiser, rassembler et structurer cette énergie dans un festival, un véritable espace de création, de rencontre et de développement pour toutes et tous. »

Moving in November s’est donc ouvert le 6 novembre et poursuit son chemin militant, radical et esthétique jusqu’au 16, avec, entre autres, la venue de FRANK de Cherrish Menzo ou encore Mother Tongue de Lucía García Pullés.

Résumé en finnois

Moving in November -festivaali tuo esiin monimuotoisen ja elävän tanssi- ja esittävän taiteen kentän. Katsojat osallistuvat aktiivisesti esityksiin, ja yhteisöllinen hetki keiton äärellä vahvistaa kohtaamisia. Festivaali tukee paikallisia ja kansainvälisiä taiteilijoita, edistää dekolonisaatiota ja rakentaa tilaa luovuudelle, kohtaamiselle ja yhteisöllisyydelle.