Le 13 novembre 2015, pour la deuxième fois de l’année, Paris était au centre de l’attention du monde comme zone de guerre et de destruction. Après avoir visé des dessinateurs de presse, la violence frappait le Bataclan, le Stade de France et les terrasses des cafés de notre quartier à la fois «bobo» et métissé. 130 personnes assassinées par des terroristes islamistes. C’était pour nous impensable, en face de notre rédaction de l’époque, et en même temps, l’occasion de saisir la chance que nous avions eue de grandir dans un pays en paix. Cela a été également pour nous un détonateur : nous nous sommes mises activement à chercher en nous-mêmes pour savoir ce que nous pouvions faire pour défendre, à notre manière, cette paix. Écrire, bien sûr, mais aussi enseigner, donner des cours du soir, enregistrer des poèmes. Puis chercher, comprendre et expliquer, encore publier et partager des idées.
Cette semaine, alors que le musée-mémorial du terrorisme n’est pas prévu avant encore 5 ans (!), Paris et la France se rappellent : les gerbes et les couronnes à même le sol s’étoffent à nouveau le long du canal Saint-Martin, France Télévisions nous parle Des Vivants et des survivants dans le temps interminable de l’après. Survivante également, Elsa Baudel, a choisi de danser et de se filmer dans Corps Étranger. Le théâtre aussi essaie de réparer les vivant.e.s dans Les Consolantes qui se donnera au Grand Parquet (Paris 18e) et qui revient, en fiction, sur les témoignages qui ont suivi les attentats de Paris. Louise Albertini, qui a perdu son fils au Bataclan, a choisi la musique comme lieu de mémoire et nous en parle. Et le concert que propose le Théâtre des Champs-Élysées ce jeudi soir a un titre programmatique : Fluctuat nec mergitur.
La pièce d’Emilie Frèche, Le Professeur, nous rappelle si vivement qu’après le 13 novembre, il y a eu l’assassinat de Samuel Paty. Et encore jeudi dernier, des fumigènes ont mis feu à des fauteuils de la Philharmonie pour empêcher de jouer un orchestre dont le chef, Lahav Shani,a pris fait et cause contre la guerre. Ces dix dernières années, nous n’avons pas cessé de lutter quand on essayait de nous faire comprendre que la culture n’était pas essentielle et que l’éducation tremblait. Alors, nous avons beau être combatives et avoir continué chaque année à nous demander ce qu’on écrivait pour les 1 an, 2 ans, 5 ans du Bataclan, il faut bien le constater : l’état de violence est là, installé. Paris et nous-mêmes, nous ne nous sommes jamais remis du 13 novembre, avec notre tour Eiffel saucissonnée par mesure de sécurité pour devenir un pastiche douloureux d’une œuvre de Christo. Et alors que d’autres violences, plus intérieures, nous empêchent d’accéder aux articles que nous avons écrits de 2015 à 2023, le 13 novembre, c’est peut-être la fin de notre innocence, mais pas de nos espoirs, de nos idéaux ni de notre détermination.
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