Le 10 décembre 2024, la Philharmonie de Paris consacre une soirée à Edgard Varèse. Ses œuvres seront interprétées par l’Ensemble Intercontemporain sous la direction de Pierre Bleuse.
Il devait être ingénieur mais rêvait de musique. En conflit avec son père, Edgard Varèse (1883-1965) quitte l’Italie pour Paris en 1903. Élève de Vincent d’Indy à la Schola Cantorum, il sera aussi influencé par Ferruccio Busoni et Claude Debussy. Vers 1914, il décide de rompre avec la tradition musicale classique, au point de détruire ses propres compositions ! S’engageant dans un nouveau cheminement esthétique, il veut « employer la matière sonore elle-même ». Sa passion pour les sciences va rejoindre celle de la musique. Pour lui « La science peut infuser une sève adolescente à la musique». Puis en 1915, il part pour New York. Ce soir nous écouterons des œuvres écrites entre 1919 et 1931. Edgard Varèse traversera ensuite une longue période de silence créatif. Viendra ensuite le « scandale » provoqué par la création en 1954 de son œuvre Désert, avant une reconnaissance tardive.
Fondé en 1976 par Pierre Boulez, l’ensemble intercontemporain est en résidence à la Philharmonie de Paris. Il se consacre à la musique du 20ème siècle et à la création contemporaine. Il intègre dans ces projets les nouvelles technologies, en collaboration avec l’Ircam. Il prolonge ainsi le rapprochement entre la musique, la technique et la science voulu par Edgard Varèse. Ionisation, Densité 21,5 ( celle du platine), Intégrales : les références scientifiques sont fréquentes dans les titres de ses œuvres. L’ensemble intercontemporain est dirigé depuis un an par Pierre Bleuse. Silhouette droite, barbe imposante, il ne manque pas de prestance en arrivant sur scène. Il dirige l’orchestre avec énergie, le public sera aussi touché par son sourire chaleureux.
Ce soir l’ensemble intercontemporain est à géométrie variable, pour interpréter les orchestrations originales, inventives d’Edgard Varèse. Le concert débute par Ionisation. Une pièce dédiée aux seules percussions. Une première en occident ! 13 percussionnistes dont un pianiste interprètent cette courte pièce très rythmée. Le rythme devient envoûtant, les roulements de timbales sont puissants, comme exprimant la colère de la matière. On croit entendre aussi une sirène, le rugissement du vent, des clochettes. Les cloches et les cymbales sonnent avant un retour au calme du début.
Changement radical pour Octandre, l’orchestre se limite à 7 instruments à vent et une contrebasse. Une orchestration totalement originale pour une ambiance sonore à la fois surprenante et rassurante, rappelant peut-être le chant des oiseaux à l’aube. L’auditeur remarquera de beaux duos : le hautbois et la flûte, le hautbois et le basson, le basson et la contrebasse.
L’orchestre se tait pour Densité 21,5. Sophie Cherrier est seule dans la lumière pour son solo de flûte. C’est un moment de douceur, la mélodie est toute simple, émouvante. Elle sera très applaudie. L’ensemble inter contemporain est au complet pour Offrandes, avec l’arrivée des cordes. Il accompagne, met en valeur la voix de la soprano Sarah Aristidou qui chante avec aisance les vers de poèmes sud américains.
Après l’entracte, le concert prend une autre dimension. L’auditeur est face à « une impressionnante armée » de musiciens qui remplissent la vaste scène de la salle Pierre Boulez. L’ensemble intercontinental s’associe aux nombreux élèves de l’orchestre du Conservatoire de Paris.
Edgard Varèse a composé Arcana à Paris, il est alors en rapport étroit avec le mouvement surréaliste. Le compositeur a rêvé de deux fanfares. Martèlement des percussions, emballement des trombones et des trompettes, les fanfares sont bien là dans cette œuvre fantasque, onirique. En tout cas, l’orchestration est très inventive et l’ambiance sonore éclatante, exubérante.
Amériques a été composée entre 1919 et 1921, mais nous écoutons la version plus tardive de 1929. L’œuvre est plus mélodique, les dissonances moins nombreuses. Elle débute, toute en douceur, par un solo de la flûte accompagnée des harpes. La musique est ludique, énergisante, joyeuse, on pense à Gershwin. Elle évoque l’agitation de la grande ville. L’auditeur croit percevoir des bruits de circulation, de moteurs, de pétarades… Mais pour Edgard Varèse il s’agit aussi de l’interprétation d’un état d’âme, d’une méditation surtout, dans la partie centrale, plus mystérieuse. La mélodie, très belle, très grave, est portée par les trombones et les harpes. Un moment très émouvant. Puis la puissance de l’orchestre se déploie pleinement. Si des accents brutaux évoquent la violence, la musique est souvent festive, voire triomphante, comme un hymne à la vitalité américaine. Et Amériques se termine dans une apothéose sonore déclenchant l’enthousiasme du public.
Orchestrations inédites, sonorités inattendues, déconstruction de la tradition classique, Edgard Varèse a été un novateur. Près d’un siècle plus tard, sa musique nous surprend et nous séduit toujours.
Visuel(c) : JMC