Décédé tragiquement à 34 ans en 2011, Dj Mehdi était depuis l’âge de 12 ans un musicien et DJ autodidacte, un « metteur en son » à l’origine des plus grandes productions de rap français et de musique électronique, à l’empreinte encore présente en 2024. Long travail de plus de 10 ans pour rassembler témoignages et images d’archive, une série documentaire en 6 épisodes de 40 mn disponibles sur les plateformes d’arte.TV et You Tube, réalisée par Thibaut de Longeville, raconte l’histoire d’amour passionnelle entre DJ Mehdi et la musique en tous genres « Ni barreaux, ni barrières, ni frontières ». Entre cet enfant des cités et les plus grandes scènes d’Europe, de New York et Miami. Un rêve hollywoodien… made in France. De la rencontre à la chute.
Visage doux, sourire charmant, DJ Mehdi a changé le paysage culturel musical français. Sans institution, ni internet, ni argent. À l’âge de 12 ans, il rencontre Kery James du groupe Ideal Junior. En 1993, ces enfants des cités, d’une maturité incroyable pour leur très jeune âge, dénoncent en musique injustice, inégalités sociales et racisme. Kery James écrit, Mehdi compose les instrumentaux dans sa chambre de l’appartement familial à Colombes (banlieue 92). La puissance de leur texte bouscule : « Mais les enfants dont je vous parle n’ont pas eu de chance / Ils souffrent en silence leur espérance n’est pas immense / Il faut comprendre que leur vie n’est pas idéale / Trouvez-vous ça normal que leur vie soit brutale ? ».
Pour Mehdi, le lien avec la musique est tout d’abord affectif. Né d’un métissage entre des origines tunisienne et française, la famille de Mehdi est nombreuse et joyeuse et la musique est l’invitée de chaque réunion familiale. Chanson française à texte, musique orientale, soul américaine, disco, jazz, on rit, on danse et on joue des derboukas. Ce ne sont ni des vêtements, ni des jeux vidéo que l’on trouve dans la chambre d’enfant de Mehdi, non, ce sont des disques. Curtis Mayfield, Khaled, Aznavour, Gainsbourg, Bootsy Collins, les Beatles, Chaka Khan, Mehdi collectionne les maxis (vinyles 45 tours), s’en imprègne, et les décortique. On entend souvent sa voix dans la série et c’est émouvant, il nous parle. Au tout début du premier épisode, il évoque même le jazz : « La première fois qu’on écoute un disque de Miles Davis, même si on n’y connaît rien en jazz, si on est un peu sensible à la beauté, c’est difficile de se dire « Ah bah non, c’est pas pour moi ». ».
D’une curiosité et d’une culture musicale insatiables, avant de faire du rap, Mehdi en écoute. A l’âge de 11 ans, il découvre le célèbre titre de hip-hop new-yorkais du groupe Public enemy « It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back ». Encouragé par ses cousins qui veulent monter un groupe, il décide de fabriquer son propre sampler, n’ayant pas les moyens d’en acheter un. Son ami ingénieur l’aide. À deux, ils bricolent une réplique du sampler Roland S-330. Et Mehdi trouve un système D. À sa gauche, il place un vinyle pour la rythmique, à sa droite, il lit un maxi de Barry White, James Brown. Puis il enregistre les boucles toutes les 8 mesures et grave ses instrus au lecteur cassette. Débrouillard, Mehdi bricole, improvise, sculpte des sons. Sampler, c’est piocher des extraits de soul, funk, jazz, en créant une boucle pour que le rappeur puisse poser son texte, son flow.
Grâce à ses sons, il participe à la légende de groupes comme 113 ou le collectif hip-hop Mafia K’1 Fry rassemblant chanteurs, musiciens, breakers et beatboxeurs. Il fait du rap de quartier tout en étant l’intellectuel du band, le geek qui conçoit les maquettes instrumentales. Thibaut de Longeville, le réalisateur de la série, qui a bien connu Mehdi, nous le rappelle dans le premier épisode de la série : « Mehdi, c’est le Quincy Jones à la française ». Dj Mehdi défend son identité et sa façon à lui de faire des instrus. Sans compromis. On reconnaît sa patte, la batterie quaternaire et la caisse claire sur les contre-temps. Scratch, pass pass et retournés. Pas de fioritures, Mehdi va à l’essentiel et surprend par exemple en réalisant le titre pour Rohff à l’aide de samplers de guitares brésiliennes dans le genre bossa nova. Beaucoup de douceur dans ses cuts, le temps est étiré medium tempo, ça retient et ça avance en même temps : ça groove. Mehdi a un rapport organique aux platines, il est un des premiers DJ à danser quand il mixe. Sensualité, sueur, succès.
Avec l’album Les Princes de la ville, sorti en octobre 1999, portrait de la vie des jeunes des cités, Dj Mehdi permet au groupe 113 de gagner deux Victoires de la Musique en 2000, fait inédit pour les années 2000. Rim’K se rappelle avec quelques larmes dans la voix de ce moment inoubliable : la reconnaissance de la musique des banlieues par l’institution. Car le rap vient du hip hop, mouvement culturel importé des révoltes sociales dans les ghettos du Bronx et de Détroit et la France bien-pensante a du mal à reconnaître le rap des cités comme une musique respectable aux revendications légitimes. Le contexte social est propice dans la « France black-blanc-beur » de la Coupe du monde de foot de 1998, le rap devient de plus en plus populaire sur les grandes ondes.
Puis, Mehdi change d’horizon, comprend qu’il se passe quelque chose du côté de la musique électronique. Le troisième épisode de la série montre bien la scission entre le monde du rap et le monde de l’électro, le monde des cités et le monde des bobos parisiens aux Bains-Douches (célèbre boîte de nuit parisienne). Mehdi y voit des points communs dans la façon de sampler, dans l’envie de danser, dans le beat. Courageusement, il navigue entre les deux mondes, ce qui lui vaut quelques conflits. Mais c’est un utopiste. Mehdi, dont le prénom veut dire « rassembleur », comme nous le rappelle sa mère Latifa, crée des ponts entre les deux univers. Il mixe pour Mafia K’1 fry et le soir part à New York se produire sur la scène électro aux côtés de Pedro Winter, avec des groupes stars comme Cassius, Justice ou Daft Punk. Mehdi est celui qui trouve le nom du label « Ed Banger » de Pedro Winter, label au succès mondial réputé dans les années 2000 pour être le label le plus « cool » du monde. La « French Touch » fait le tour du monde.
Les images inédites de Mehdi très jeune et les témoignages intimes sont touchants. Sa famille, sa mère Latifa, sa cousine Myriam Essadi , sa compagne, Fafi, évoquent avec douceur le souvenir de leur « petit Mehdi ». Nostalgie mais sans tristesse, Mehdi était solaire, positif, qui poussait son entourage vers le haut et ça se sent. La musique est reliée à un contexte et à certaines épreuves de la vie. Mehdi détonne par sa douceur par rapport à la violence des gangs des cités dont font partie certains membres de Mafia K’1 Fry. Moment émouvant après l’assassinat de Las Montana pour règlement de compte juste avant le fameux concert de l’Élysée-Montmartre tant attendu. Il faut choisir entre la rue ou la musique, la violence ou la scène. Dilemme cornélien, Kery James se retire de la scène et se convertit à l’Islam. Mehdi est très affecté et fait à présent cavalier seul sans son grand ami, celui avec qui il a eu la plus grande complicité quand ils étaient adolescents et qu’ils écrivaient leurs premiers morceaux.
À aucun moment, Mehdi n’a cherché à devenir célèbre. Il a toujours été en second plan. Timide, il osait à peine monter sur scène. C’est chez lui, dans sa chambre à sampler des maxis, qu’il se sentait le mieux. Il n’a lutté que pour deux choses : la justice sociale et le partage de la musique.
La série est rythmée pour que l’on ne s’ennuie pas une seconde et suit la chronologie de la vie de Mehdi pour raconter son histoire. 6 x 40 minutes d’admiration, de tendresse, d’amitié, d’amour, d’envie de danser, au milieu de dope dealée, de gueules cassées, de beat et de diction endiablée. Les mots comme des dum dum tirées à bout portant, le rythme des beats annonçant l’arrivée d’un nouveau courant musical.
Il y a des absents de la série comme Rohff, Booba, ou Rocé qui ont pourtant beaucoup collaboré avec Dj Mehdi. On se questionne, on devine que ce qui est raconté ne fait pas l’unanimité, on sent que la vie de Mehdi est parfois déformée pour cause de storytelling. Alors série docu ou docu-fiction ? Un regret, celui de montrer parfois des images avec un manque de pudeur de Mehdi dans des états où on ne le reconnaît pas. On préfère garder en tête le sourire d’enfant de ce petit génie des banlieues devenu grand et inoubliable.
Pour continuer après avoir vu la série : The Code Review de Mehdi Maïzi : épisode DJ Mehdi, pour l’éternité (avec Thibaut de Longeville & Manu Key) – Le Code Review #39
Pour comprendre et approfondir musicalement : Un très bon article sur Konbini qui explique d’où vient l’inspiration des samples de Dj Mehdi.
https://www.konbini.com/popculture/dix-meilleurs-samples-de-dj-mehdi-toute-subjectivite/