Ce 9 janvier 2025, dix ans jour pour jour après le dernier des trois jours qui ont ensanglanté la France — le 7, l’attentat de Charlie Hebdo ; le 8, l’attentat de Montrouge ; le 9, l’attentat de l’Hyper Cacher à Vincennes — le CRIF et Charlie Hebdo se sont réunis pour une soirée d’hommage et de résistance qui a rappelé que le vivre-ensemble et le dialogue entre les citoyen·ne·s n’étaient pas un leurre.
Ce soir, le quartier est bloqué autour de la Mutualité, les barrières entourent tous les accès. Le nombre de flics, de gardiens de sécurité et de gardes du corps dépasse l’entendement. On note des voitures blindées ici et là. Ce fait-là est insupportable, ce fait-là dit, comme le président du Crif Yonathan Arfi le pointera du doigt, l’inversion des modèles. Les réactionnaires, les « cons », les religieux obtus sont les gentils. Les dessinateurs, les dessinatrices, les humoristes, les laïcs, les républicains sont les méchant·e·s à abattre, et ce n’est pas une expression.
Au fil de cette soirée, cette image de ces femmes et de ces hommes gardés, car menacés de mort, est revenue sans cesse comme l’exemple d’un monde qui a basculé vers « le pire », cher à Wolinski.
La soirée s’est ouverte par deux beaux et grands discours. D’abord Riss, le directeur de la publication de Charlie Hebdo, survivant du 7 janvier, a rappelé l’esprit Charlie. Sa montée au pupitre a commencé par une ovation de plusieurs minutes. Le fait que l’humour et la caricature sont des armes à ne jamais lâcher contre le terrorisme islamiste. « Un contrat social qui doit être respecté par tous, pour que chacun, à son tour, puisse être respecté lui-même. Malheureusement, le respect est souvent confondu avec la soumission. Charlie Hebdo en fait l’expérience régulièrement : sa dimension satirique choque et lui vaut d’être accusé de manquer de respect », a rappelé Riss.
De son côté, Yonathan Arfi a rappelé lui aussi l’urgence de garder un dialogue ouvert entre les Français·e·s et de voir l’antisémitisme non pas comme un enjeu électoral, mais comme un problème national. Dans un discours 100 % Charlie, il a rappelé que Charlie Hebdo et les juifs de France ont été « unis par les liens du sang ».
Ensuite, des témoignages se sont succédé sous la forme de tables rondes sur la liberté d’expression, l’antisémitisme, la jeunesse ou encore la République, avec notamment l’humoriste Sophia Aram, l’essayiste Caroline Fourest, le politologue Dominique Reynié, l’historien Iannis Roder, la philosophe Cynthia Fleury, le président de l’UEJF Yossef Murciano, et le rédacteur en chef de Charlie Gérard Biard. Ce dernier a sans doute eu les mots les plus marquants de la soirée, osant dire :
« Le 7 octobre 2023, je suis resté pétrifié par l’horreur et la barbarie de la razzia terroriste perpétrée par le Hamas, mais aussi par ce qui s’est passé juste après, vraiment juste après. Dans les minutes qui ont suivi l’annonce de l’attaque terroriste du Hamas, partout dans le monde, des actes et des agressions contre les juifs ont été signalés, comme si le Hamas avait donné en quelque sorte le signal : « Allez-y, lâchez-vous, on peut y aller. » Et puis il y a autre chose qui m’a choqué : pour la première fois dans l’histoire des luttes féministes, des militantes et des mouvements féministes ont relativisé des viols. Parce que c’étaient des femmes juives, il y avait viol et viol. Alors, j’en avais conscience, mais ça m’a sauté à la gueule : l’antisémitisme, comme un journal de sinistre mémoire, est partout. »
Entre constats sinistres et espoirs inébranlables, les paroles et les images — 50 unes de Charlie, plus délicieuses les unes que les autres — ont déclenché quelques fous rires. La soirée a permis de rappeler ce qu’était l’esprit Charlie : une façon de voir le monde où la liberté n’est pas juste une idée jolie, elle est une urgence, un rempart contre le totalitarisme.
Visuel : ©ABN