Les huit épisodes de la série Des vivants a passé les 1,5 millions de vues en accès libre sur la plateforme de France Télévisions et chaque lundi soir depuis le 3 novembre, deux épisodes sont diffusés sur France 2. Jean-Xavier de Lestrade (à qui l’on doit Sambre, Laëtitia ou encore 3 x Manon) est allé recueillir le témoigne de sept des survivants pris en otage 2h20 durant dans un couloir du Bataclan. Il sacralise leurs témoignages dans une fiction qui manque peut-être de champ pour assurer une transmission réussie.
Tout commence au Bataclan-même où le cinéaste a voulu filmer et se termine au tribunal où ils et elles décident finalement tous de témoigner pour revenir un peu parmi les autres vivants… Des Vivants suit dans le temps long les traumas de 7 victimes percutées par la violence folle des terroristes du 13 novembre.
Sortis par l’intervention de la BRI d’un couloir où deux hommes armés et munis de ceinture d’explosifs les ont pris en otage deux heures durant, Arnaud, Marie, Caroline, Grégory, Sébastien, David et Stéphane n’arrivent pas à reprendre leur vie et ne se sentent bien qu’entre eux et elles. À tel point qu’ils s’auto-désignent les «Potages» (Potes-Otages). Aussi divers en âge et en horizons soient-ils et elles, ces spectateurices qui sont allé.e.s entendre les Eagles of Death Metal ce soir-là, se retrouvent régulièrement entre eux parce que les autres ne les comprennent pas. La série suit chaque trajectoire, chaque trauma et aussi les réverbérations sur les proches, à travers quelques moments clés des dix ans qui ont suivi, notamment la période des indemnisations et celle des témoignages pour le procès. Elle s’inscrit avec succès dans un temps long où finalement peu de choses bougent, tant la sidération du moment où ils et elles ont cru mourir dans ce couloir, dure et s’étend.
Par delà la justesse de placer l’humain en premier et de rester au plus proches de sept témoins souvent filmés pudiquement en trois quarts ou de dos, la réalisation est étonnante : à la fois écrit et filmé comme un télécrochet populaire, avec musique « émouvante » à l’appui, cette série est extrêmement documentée, ne recule pas devant les flashbacks aussi éprouvants soient-ils et flirte aussi avec le documentaire. Le brouillage des frontières entre fiction et réalité a pu créer une petite polémique, sur ce qu’il convient de faire pour aborder un sujet aussi majeur et aussi sensible, mais là n’est pas tellement la question. Ce qui interroge, c’est la pesanteur authentique de certains dialogues, la plainte qui s’étend sur huit épisodes et fait mesurer la terreur vécue… mais qui met également le public dans la position de réceptacle de ce lent brouillon de vie « après ».
Sur certain.e.s l’impact marche, chez d’autres, l’impatience gagne et ils et elles décrochent parfois un peu frustré.e.s que sur ce sujet essentiel et traité avec autant d’attention, l’œuvre proposée soit juste ennuyeuse. Trop de précaution et trop de désir de fidélité ont finalement peut être pesé sur l’intrigue et l’image. Sur la mémoire d’une autre terreur : celle des camps d’extermination, Primo Levi s’attaquait en 1976 aux poèmes de Paul Celan en leur reprochant de vouloir «mimer» ce qui s’était passé, plutôt que de le transmettre par un discours clair et articulé. L’essai s’intitule De l’écriture obscure et le survivant italien met en cause « l’impressionnisme » de l’écriture obscure qui lui semblait à la fois toujours et nécessairement incomplet. Et qu’il liait aussi à un renoncement : celui non pas seulement de la conservation, mais aussi de la transmission de la mémoire. Si une série est populaire, elle a aussi le droit de mettre en lumière, par les artifices mêmes de sa forme, à la fois le contexte et l’héritage des témoignages qu’elle porte en elle. Sacraliser leur âpreté et leur forme ne suffit peut-être pas à transmettre la mémoire des vivants et leur témoignage sur ce qu’ont subi les morts.
Des vivants, réalisé par Jean-Xavier de Lestrade, Scénaristes : Antoine Lacomblez et Jean-Xavier de Lestrade. Musique originale composée, dirigée et interprétée par Raf Keunen, avec : Benjamin Lavernhe de la Comédie-Française, Alix Poisson, Antoine Reinartz, Félix Moati, Anne Steffens, Thomas Goldberg, Cédric Eeckhout.
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