Derrière le retrait d’un festival serbe du « Procès Pélicot » de Milo Rau, le spectre de l’autoritarisme
par Luna Beaudouin-Goujon30.10.2025
La pièce Le procès Pélicot de Milo Rau, encensée à Avignon, a été retirée de la programmation d’un des festivals les plus emblématiques de la liberté artistique. L’accusation de censure du metteur en scène suisse cache une mise au silence progressive et inquiétante du milieu culturel en Serbie, s’inquiètent les artistes.
Le Festival international de théâtre de Belgrade (Bitef) a retiré de sa programmation la pièce Le procès Pélicot de Milo Rau. Lundi 27 octobre, le metteur en scène suisse a qualifié cette décision de censure. Le festival a initialement lieu en novembre, mais aucune date n’a encore et fixée. Il est confronté à des retraits, que les artistes attribuent à des pressions politiques. Les financements ont en effet été réduits et des changements ont eu lieu en interne, précise l’AFP. Deux membres de la direction artistique ont démissionné suite à cette annulation.
La crainte d’une mise au ban de la liberté d’expression
« C’est sans aucun doute l’acte le plus préjudiciable contre la liberté artistique que j’ai connue en deux décennies comme artiste et comme curateur », s’inquiète Milo Rau dans un communiqué envoyé à l’AFP. La pièce, représentée avec succès à Avignon, décrivait le procès retentissant du mari de Gisèle Pelicot et de dizaines d’accusés invités par ce dernier à la violer alors qu’elle était inconsciente et droguée.
Le pays est secoué depuis novembre 2024 par les protestations anticorruption massives d’étudiant·es. La colère a explosé quand l’auvent de la gare de Novi Sad s’est effondré le 1er novembre, causant la mort de seize personnes. Il venait d’être construit par une entreprise chinoise dans le cadre du chantier de la ligne de train à grande vitesse Belgrade-Budapest. Les manifestant·es en ont fait un symbole de la corruption.
Alors que la mobilisation ne faiblit pas, le monde artistique pointe du doigt le régime d’Aleksandar Vučić, président serbe. Ce dernier est accusé de faire usage de la force contre ses opposants et de refuser le dialogue. Mi-août, des dizaines de personnes avaient été blessées, dont 42 policiers et 37 manifestant·es arrêté·es lors d’un des nombreux rassemblements dans tout le pays. « Il ne s’agit plus de manifestations pacifiques des étudiants. Il s’agit de ceux qui veulent provoquer les violences » avait déclaré le ministre de l’Intérieur Ivica Dacic.
Une punition politique ?
La liberté de la presse serait aussi menacée. Selon Reporter sans frontières, « dans un climat politique davantage polarisé par les manifestations anti-gouvernementales en 2023 et en 2024, les journalistes sont régulièrement la cible d’attaques de la part des membres de l’élite dirigeante, amplifiées par certaines chaînes de télévision à fréquence nationale ». 89 professionnel·les des médias ont été agressées depuis le 1er novembre pendant la couverture médiatique du mouvement, comptabilise l’ONG.
Pour le directeur du festival, Milos Lolic, et le dramaturge Borisav Matic le retrait du spectacle de Milo Rau est dû aux critiques émises en 2025 par ce dernier à propos d’une mine de lithium en Serbie, ont-ils ont soutenu sur la chaîne locale N1. Ce projet est soutenu par l’État et a fait face à des protestations dans tout le pays.
En juin 2025, le gouvernement serbe avait supprimé 1,5 millions d’euros de subventions au festival de rock-electro Exit. Selon les organisateurs, la coupure budgétaire intervient suite au soutien donné publiquement « aux étudiant·es serbes l’an dernier pour leur combat pour une société libre et juste ».
Visuel : photo prise pendant la manifestation générale du 24 janvier 2025 à Belgrade. ©SergioOren
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