Grande figure et membre de l’agence Magnum depuis 1994, Martin Parr est mort à l’âge de 73 ans à son domicile de Bristol, des suites d’un cancer. Une triste fin, pour celui qui fut le témoin privilégié des évolutions de la société moderne et un photographe hors pair.
On entend çà et là qu’il a révolutionné le genre. Mais il serait plus exact de dire qu’il en a créé un : le genre Parr. « J’essaie de photographier ma propre hypocrisie et celle de la société », disait-il. On peut le dire, il est le premier à avoir décrypté avec une aussi grande précision la société britannique, en capturant appareil au poing les Anglais et leurs comportements excentriques. Avec ses cadrages serrés, son univers kitsch et ce ton acerbe, il a créé pour lui un nouveau lexique qui brouille les frontières entre le bon et le mauvais goût. Avec un humour pince-sans-rire, toujours, dont on peut dire honnêtement, mais avec un peu de retenue quand même, qu’il est typiquement anglais.
Sur ces photos, souvent, se dessinent très vite les thématiques qu’il aborde : le temps qui passe, le consumérisme, le tourisme et la vie de la classe ouvrière. Il a documenté, non sans y porter un regard critique, le quotidien de la Grande-Bretagne sous Margaret Thatcher, William Eggleston ou encore Stephen Shore. Puis, il est allé au monde. Avec son Plaubel Makina, il a contribué à éveiller les consciences autour de nombreux sujets, qui n’en étaient, par ailleurs, pas toujours un avant qu’il les immortalise. Un lanceur d’alerte ? C’est en tout cas le sens de l’exposition qui va lui être consacrée à Paris fin janvier, au Jeu de Paume. Cette rétrospective baptisée Global Warning se propose de revisiter l’œuvre de Martin Parr à l’aune du désordre généralisé de notre époque, à travers différentes séries réalisées depuis la fin des années1970 jusqu’à aujourd’hui. Le rendez-vous est pris, pour lui rendre un bel hommage.
Loin d’être une première fois en France puisqu’on compte, à ce jour, à peu près une grosse trentaine d’expositions données en son honneur dans l’Hexagone depuis son émergence aux yeux du monde dans les années 90. Depuis, l’artiste est un peu devenue une icône, il est célèbre dans le monde entier. Pourtant à la base, comme nous autres, il était un illustre inconnu. Né en 1952 à Epsom, Martin Parr grandit en banlieue londonienne, dans une famille issue de la petite bourgeoisie. Peu intéressé par les études, il rencontre assez tôt sa vocation grâce à son grand-père, amateur éclairé de photographie. Grâce à ses encouragements, Martin Parr réalise sa première série consacrée à une boutique de Fish and chips dans le Yorkshire à l’âge de 16 ans. Le début d’une grande aventure.
En 1970, il intègre l’école polytechnique de Manchester où il étudie la photographie, un domaine artistique qui est un peu en sommeil à cette époque en Angleterre. L’une de ses principales sources d’influence est Tony Ray-Jones, dont les clichés mettent en scène le quotidien des Américains et des Anglais, avec une certaine dose de cocasserie. Parr, lui aussi, veut se saisir de la banalité pour en faire un sujet. Diplômé, il s’installe dans le Yorkshire. Il y fait ses premières grandes séries sur la vie locale, puis va en Irlande avec sa femme. En 1982, sort son premier ouvrage, intitulé Bad Weather (mauvais temps), un sujet à la fois terriblement banal et totalement présent dans la vie britannique.
Durant cette même année, il s’installe à Liverpool, où il va prendre une décision qui va bouleverser sa carrière, en passant à la couleur. Il commence alors à capter l’émergence d’une société capitaliste, et l’impact de la culture et de l’économie de masse en montrant les comportements presque obscènes de la consommation populaire et les dérives de ce tournant sociétal. Et pourquoi s’arrêter à la Grande-Bretagne ? À partir des années 1990, il poursuit ce travail en voyageant d’abord à travers l’Europe, puis à travers le monde. Preuve de son incroyable succès et de sa popularité grandissante, il rejoint en 1994 l’agence française Magnum, malgré la réticence de plusieurs de ses membres qui méprisent ce travail baroque et bigarré. En parallèle, il poursuit son travail de photographie documentaire sociale et devient, au fur et à mesure, une figure emblématique de la profession.
Pour donner un aperçu de son œuvre, l’on pourrait citer The Last Resort (1983-1985), qui se déroule dans une station balnéaire ouvrière située dans le Merseyside, au nord-ouest de l’Angleterre, où le photographe immortalise des baigneurs piégés entre les déchets et la malbouffe, ou encore son ouvrage Petite planète (1995), qui traite du tourisme avec un humour forcené et tendre. L’œil de Martin Parr était un œil davantage compatissant que cruel, pour sûr. Celui-là va nous manquer, mais heureusement, son formidable travail, lui, va nous rester…
Visuel : © Raph_PH