Émilie Rousset, metteuse en scène, est récemment devenue Directrice du Centre dramatique national (CDN) d’Orléans. Son parcours artistique est résolument interdisciplinaire, expérimental. Aujourd’hui, elle nous parle des ponts entre sa conception personnelle du théâtre et ses projets en tant que directrice, qui verront prochainement le jour à Orléans.
Parce que ça ouvre des possibles. Concevoir le projet pour le CDN d’Orléans a été comme imaginer des extensions à ce que je cherche dans mes pièces : créer des constellations de pensées, imaginer des formes de représentation du monde qui interrogent et décalent. Diriger un lieu de création, c’est aussi avoir la possibilité de partager une vision du théâtre en défendant des lignes esthétiques, en affirmant des valeurs politiques dans l’institution et sur la scène. Les CDN sont parmi les seules institutions culturelles à être dirigées par des artistes, c’est important que cette place existe dans le paysage théâtral.
Mon projet s’articule autour de deux temps forts et d’un collectif d’artistes européens. Avec toute l’équipe du CDN d’Orléans, nous créerons une Biennale de printemps qui proposera dans la ville et dans la région des œuvres in-situ : sur un parking, dans un champ, dans le centre commercial, dans le palais de justice… Chaque saison nous proposerons un Focus jeunesse avec des pièces et des auteur·rices invité·es. Nous réunirons un collectif d’artistes pour penser et déployer le projet collectivement, il sera composé des metteur·euses en scène, réalisateur·rices, Lola Arias, Marta Gornicka, Vanasay Khamphommala, Marcus Lindeen et Marianne Ségol-Samoy, Adeline Rosenstein, Gurshad Shaheman, Louise Hémon ainsi que de la scénographe Nadia Lauro et de la chercheuse et curatrice Madeleine Planeix-Crocker. Ce collectif se réunira tous les ans à Orléans pour un évènement intitulé La caverne.
Les artistes réuni·es au sein du collectif proposent toutes et tous des écritures documentaires alliées à des recherches formelles inventives. Comme moi, plusieurs d’entre elles et eux déploient leur travail sur scène, au cinéma, à travers des installations et des performances. Leurs écritures documentaires s’emparent de sujets de sociétés, de pratiques amateurs, de langages singuliers, pour inventer des représentations qui créent des brèches, des perspectives, des superpositions. La ligne documentaire m’intéresse quand l’artiste interroge sur le même plan son média et son matériel, quand la mise en scène ouvre une nouvelle perception.
C’est le projet. Le CDN d’Orléans programmera la Biennale de Printemps qui présentera des œuvres créées in situ sur le territoire. Cette année, au sein de la pièce collective «Paysages Partagés» conçue par Caroline Barneaud et Stefan Kaegi, j’ai recréé ma pièce dans plusieurs pays, en extérieur, avec des performeurs et des agricuteur·rices locaux. Déborder des plateaux, c’est aussi la possibilité d’inventer des formats qui génèrent la rencontre, relient le local et l’international, qui déplacent les modalités de productions autant que les formes artistiques. C’est aussi une prise de risque car la boîte noire du théâtre avec sa scène et son gradin offre une praticité optimisée. Sortir d’une zone de confort permet de penser autrement.
La saison prochaine nous présenterons à Orléans Reconstitution : «Le procès de Bobigny». Je suis heureuse de proposer au public Orléanais cette pièce emblématique de la compagnie. Nous l’avons créée en 2019 et elle n’a pas cessé de tourner depuis. Elle sera aussi reprise à Paris, au Carreau du Temple, dans le cadre du Festival d’Automne. Cette pièce est importante pour les paroles et les pensées dont elle est le relais. Cette pièce est aussi le témoin des glissements et résistances de nos sociétés entre aujourd’hui et 1972. Des glissements et des résistances sur le plan des droits reproductifs mais aussi sur le plan des libertés et de l’égalité des droits. J’espère que ces prochaines semaines seront celle de la résistance. L’extrême droite a un programme précis pour revenir sur l’égalité des droits des femmes, des personnes LGBT+, des personnes racisées, des personnes étrangères… Sans égalité des droits il n’y a pas de société démocratique et il n’y a pas de rempart à la violence contre les personnes minorisées.
Visuel : © Ph. Lebruman