De Volmir Cordeiro à Mehdi Kerkouche, la Biennale de la danse de Lyon a pris la rue

Rue, le combat vital

Le rendez-vous est pris Place de la République. Le public, nombreux, est au rendez-vous ; les passant·e·s, elles et eux, ne savent pas encore ce qu’il va se passer là. Volmir Cordeiro apparaît. Il a comme particularité d’être immense, quelque chose comme deux mètres de haut. Il surgit pile au milieu de cette esplanade ponctuée d’une fontaine grande comme une piscine olympique. Il est accompagné du percussionniste Washington Timbó, en micro-short et coiffure verticale. Volmir a les yeux entourés de halos oranges et il est tout vêtu de noir. Son premier geste met tout le monde au pas. Il se pose les deux jambes écartées, lève les bras, les croise en haut et jette une jambe à l’arrière. Il martèle comme ça un message qui impose de le regarder, au rythme des coups de tambour qui sont comme des coups de feu. Ensuite, il s’empare de tout l’espace, dans un silence et une écoute époustouflants dans un contexte de spectacle gratuit présenté en plein air. La fontaine devient un podium qu’il arpente tout en écrasant la haine et en saluant la vie. Ses pas, parfois teintés de salsa, n’ont pas manqué de courses rapides et de passages au sol, à quatre pattes, aux allures félines. Cette pièce qui date de 2015 n’a pas perdu en modernité ; au contraire, elle s’inscrit dans un monde toujours plus en guerre, et plus que jamais scander et danser les mots de Bertolt Brecht, qui ordonne de vivre, est essentiel.

Défilé, le cœur du festival

Sous un soleil éclatant et une chaleur estivale, la Biennale de la danse de Lyon a retrouvé ce dimanche son grand Défilé, moment festif et populaire qui, depuis 1996, transforme les rues en scène à ciel ouvert. Né d’une idée de Guy Darmet, ce défilé s’est imposé comme un rendez-vous incontournable où artistes et amateur·rice·s partagent l’espace public dans un même élan créatif. Cette édition a rassemblé un public extrêmement nombreux, venu applaudir la richesse des cortèges : d’Annonay à Villeurbanne, du Puy-de-Dôme à Annecy, chaque groupe a offert sa vision, entre traditions revisitées, rituels en fête et énergies urbaines. Le défilé s’est ouvert avec l’énergie solaire d’Abou Lagraa et Nawal Aït Benalla, bercée de rythmes berbères électro, avant de plonger dans l’hommage subtil à West Side Story d’Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou. Plus loin, le futurisme dystopique de Tom Grand Mourcel rencontrait les danses populaires andalouses de Kadia Faraux, tandis qu’Aina Alegre déployait une parade bleue et argent inspirée des fêtes catalanes. Bouba Landrille Tchouda célébrait les rituels du monde au son d’une batucada endiablée, quand Anne Le Batard et Jean-Antoine Bigot apportaient, avec leurs Palomilladas, un souffle canaille venu du Pérou. Abdou N’Gom faisait fusionner Hip-Hop et Lindy-Hop dans un vibrant Let’s Re-Jam, avant que Diego Dantas, depuis Rio, n’embrase la place Bellecour dans une clôture queer, entre résistances, électro et joie collective.

Un défilé foisonnant qui a eu comme fil conducteur la diversité. On a pu voir des costumes colorés et des chars dignes des plus belles Pride. On a vu surtout des danseurs et des danseuses de tous les âges, de toutes les tailles et de toutes les origines, et ça fait du bien !

360, le bouquet final

Et donc tout ce monde, c’est-à-dire les participant·e·s au défilé et son public, s’est retrouvé ce dimanche 7 septembre sur une place Bellecour noire de monde, vibrante sous la chaleur et l’attente, prête à se laisser emporter par 360 de Mehdi Kerkouche. Cette version courte d’une vingtaine de minutes, créée pour la Biennale, permet de comprendre l’essence de cette pièce : une chorégraphie immersive qui fait exploser les frontières entre spectateur·rice·s et interprètes. Imaginez une grande structure circulaire qui occupe le centre de l’espace. Un danseur arrive, tout de beige vêtu, s’empare de cet agrès et tourne sur lui-même, dans une vrille parfaite. Il est ensuite très vite rejoint par huit danseur·euse·s professionnel·le·s qui vont faire le tour de leur scène circulaire de toutes les façons possibles : en pas chassé, face public, au ras du sol, en tournant sur eux et elles-mêmes. Le rythme est celui de la techno subtile de Lucie Antunes, mais qui envoie quand même à 120 bpm. Puis, jaillissant d’on ne sait où, un groupe d’amateur·rice·s entre dans le mouvement. Nous avons donc deux groupes, sur deux niveaux, sans compter les nombreuses prises d’assaut de la tourelle qui surplombe cette merveilleuse scène. Après les saluts, Mehdi Kerkouche, micro Beyoncé à la bouche, devient meneur de foule dément et se met à donner un cours de danse.

Cette version, jouée devant un public déjà habitué, a permis à 360 de se développer véritablement. Des artistes à fond la caisse face à un public à fond la caisse : cela a provoqué une explosion chorégraphique digne des plus grands shows. Une nouvelle fois, Mehdi Kerkouche revendique l’idée que les danses pops ont leur place dans le panthéon des esthétiques contemporaines. Nous n’avons pas vu la pièce en boîte noire, mais en tout cas, en plein air, elle se déploie dans le fond et la forme de façon géniale.

Ce faisant, Tiago Guedes a imposé son rythme, en montrant des pièces percutantes, merveilleusement écrites, sans rompre avec un grand geste populaire.

English summary

The Lyon Dance Biennale opened with powerful statements that brought dance into the streets and made it resonate as both popular and demanding. Volmir Cordeiro’s Rue turned Place de la République into a stage of resistance and vitality. On Sunday, the great Défilé returned, gathering thousands in a collective celebration of diversity, from Andalusian dances to futuristic visions, from batucada to queer joy. Finally, Mehdi Kerkouche’s 360 transformed Place Bellecour into an immersive dance arena, blurring the line between performers and audience in an electrifying closing moment. Through these choices, artistic director Tiago Guedes asserted a Biennale both striking and deeply popular.