Sébastien Vidal : « De nombreuses personnes qui ne sont pas forcément des fans de jazz suivent la radio parce qu’elles aiment TSF »

25 ans, c’est l’occasion de fouiller les archives, lesquelles ?

Toutes les demi-heures, nous redécouvrirons quelque chose : cela peut être un live,  une interview, une émission comme « la 2e de Pierre Bouteiller », « la rencontre avec Sonia Rollins », « Le jazz live » d’Alicia Cohen à la Cigale. Les choix sont subjectifs, opérés par les journalistes de la radio dans les archives : David Copérant, Laure Albernhe, tout le monde est parti dans les archives. Je ne m’en suis pas trop mêlé ; ça a été beaucoup David Copérant, Jean-Charles Doukhan, et puis toute la bande de jeunes qui nous ont envahi, qui font TSF du matin au soir et qui portent un regard nouveau sur ces archives. Quand on regarde dans le rétroviseur, c’est hallucinant le nombre de choses que l’on a faites pendant 25 ans. On y retrouve évidemment le cœur du jazz, de Brad Meldhau à Pat Metheny en passant par Sonny Rollins. C’est normal, nous faisions une quotidienne une fois par semaine, donc il y a forcément l’avant et l’arrière-avant du jazz depuis ces 25 dernières années qui sont passés à la radio.

Au fait où sont-elles vos archives ? Sont-elles accessibles ?

Nous les avons réunies dans un espace sur le site qui s’intitule « Nos 20 ans », au moment où nous avons célébré … les 20 ans de la radio. Une partie demeure néanmoins rangée dans nos serveurs. Il y a aussi quelques archives du début qui étaient en DAT et que nous avons transférées en digital, mais elles ne sont pas accessibles. Il faudrait qu’on travaille là-dessus avec l’INA, afin qu’elles soient gardées quelque part.

Vos auditeurs et auditrices participent activement aussi à cet anniversaire…

Nous avons 1 million et demi d’auditeurs. Or, si en France il y avait un million et demi de personne qui aimait le jazz et qui le consommait, le secteur serait riche. Il s’agit donc de fans de jazz, mais aussi de gens qui écoutent TSF Jazz parce qu’ils trouvent que nous ne sommes pas un robinet à musique et que nous proposons quelque chose de différent qui donne un peu un sens à leur matinée ou à leur après-midi. De nombreuses personnes qui ne sont pas forcément des fans de jazz suivent la radio parce qu’elles aiment TSF. Certains disent ne pas aimer le jazz, mais ils nous écoutent. Il y a toujours cette espèce de dichotomie sur la perception du jazz : on le perçoit souvent comme un solo de saxophone interminable et élitiste, mais en réalité on consomme tous du jazz régulièrement. Tout le monde a un disque de Louis Armstrong dans sa discothèque.

Et quels ont été leurs choix des 25 titres phares des 25 dernières années ?

Nous avons demandé aux auditeurs et auditrices de voter pour leurs standards préférés dans une liste des 350 morceaux les plus populaires de la radio. Il avait un mélange à la fois de morceaux historiques comme My favorite thing ou What a wonderful world. Et nous y avons glissé des tubes  « maison » de la radio ; aussi bien des morceaux de Roy Hargrove, que de Avishai Cohen. Après le vote, nous sommes arrivés à une liste de 25 morceaux qui est assez étonnante. Il y a évidemment des aficionados de « Girl from Ipanema », mais aussi de « Strasbourg Saint-Denis » de Roy Hargrove, qui est arrivé en troisième position !

Et comment ces 25 morceaux se transforment-ils en spectacle ?

Nous avons  imaginé que ces 25 morceaux soient interprétés par des musiciens de jazz. Il y a Ibrahim Maalouf, Mélodie Gardot, China Moses, des gens connus ou pas, mais qui sont tous des très grands interprètes et des supers musiciens de jazz. Nous avons dépassé la problématique des têtes d’affiche pour remettre la musique au centre. Une figure comme Robin Mckelle, qui se produit d’habitude avec ses musiciens à partir de son album, viendra simplement pour chanter. Notre show a été imaginé à partir de la musique et, objectivement, ça marche bien, car le concert est complet… ce qui veut dire que les gens sont curieux de voir le résultat. L’idée est que la musique soit entrecoupée d’interventions de China Moses, comme un genre de fil de rouge, mais il ne sera pas là pour présenter les morceaux, ni les artistes, ni le spectacle, mais pour parler de la musique. Ce spectacle se veut ultra-digeste, à la fois dans sa scénographie et dans son déroulé : il n’y a pas de pieds de micros, tout est en HF, tout est fixe et disparait hors champ grâce aux jeux de lumières. Alors que l’on a l’habitude des théâtres à l’italienne avec leur perspective, nous avons choisi une scène à l’allemande : c’est comme une boîte, matérialisée par des rideaux de chaines, qui offre des perspectives et des lumières intéressantes. En passant par une technique de la lumière exigeante, nous allons réussir à créer ce spectacle digeste qui se passe sans interruption, avec juste une personne qui intervient pour raconter une histoire. On veut aussi qu’il se passe toujours quelque chose sur le plateau pour permettre au spectacle de s’enchaîner comme ça.

Votre soirée annuelle est un peu l’anti «You & the night & the music» ?

Pour cette soirée de rendez-vous qui a lieu le 16 décembre prochain, nous avons déjà vendu  1500 billets sans vraiment annoncer de programme !  C’est vraiment autre chose, la soirée « You » permet d’entendre live le groupe que l’on a entendu toute l’année à la radio et qu’on a envie d’aller voir sur scène. Ils viennent jouer leur répertoire, la chanson que l’on a le plus entendue à la radio : c’est basé sur l’actualité. Pour Jazz Célébration, nous avons vraiment imaginé un spectacle en coproduction avec le Théâtre du Châtelet. Un spectacle qui va tourner lors de la saison 2024-2025.

Comment voyez-vous le rôle de TSF Jazz aujourd’hui ? Est-ce un rôle patrimonial ? De découverte de talents ?

La question est intéressante, mais je ne pense pas que ce soit à moi de répondre ou de dire quel rôle on a joué. Notre principale préoccupation chez TSF Jazz a toujours été de donner du plaisir aux gens. La défense du Jazz, qu’il s’agisse de patrimoine pur de création, n’est qu’une conséquence de cette préoccupation. Évidemment, nous sommes attentifs aux jeunes générations qui font des nouveaux disques. Pour moi, c’est la conséquence, pas l’éthique, mais le sport quotidien de celui ou celle qui fait de la radio. Le premier objectif, c’est de donner du plaisir et comment avec une musique qui est souvent considérée comme étant une musique ardue et qui demande un effort. Le jazz, c’est d’abord du kiff avant d’avoir du sens. Ensuite, TSF Jazz diffuse une musique qui a une histoire politique et qui s’est construite sur le drame de l’esclavage. Cela oriente nécessairement notre manière de parler à l’antenne, puisque nous évoquons les enjeux qui sont liés à cette musique. On ne peut pas parler de jazz sans parler de droits civiques, de respect des identités ou de racines. C’est un truc qui est intrinsèquement lié à l’histoire du jazz et qui parle à nos consciences, mais ce n’est pas notre propos. Car notre propos n’est pas politique. Notre première vocation, c’est de donner du plaisir, et je pense que c’est cela que nous avons le plus réussi. Nous avons fait une radio basée sur le plaisir et les émotions que les gens écoutent n’importe où, dans leur voiture, au bureau ou à la maison…