Il y avait-il un lieu plus « Cult » et plus adapté pour que le pianiste David Kadouch célèbre la sortie chez Mirare de son « album le plus personnel », Amours interdites ? Avec une grande intensité, il a revisité pour son public les dédicaces secrètes de Tchaïkovski, Hahn, Poulenc mais aussi Landowska et Ethel Smyth sous les néons bleus du bal ouvert dès la belle époque et qui a traversé l’Histoire pour devenir l’incontournable « gay musette » de Paris.
Ce jeudi 13 février, rendez-vous était pris avec le pianiste David Kadouch dans la lumière bleutée de la boîte la plus dansante et sans a priori de Paris. Après Covid, nous avons eu peur de perdre notre « boîte à frisson » de la rue au maire, mais plusieurs associations se sont mobilisées et depuis 2023, le Tango est et demeure l’un des clubs les plus joyeux, queers et dansants de la capitale. Le patron a été très touché par le courriel envoyé par le pianiste David Kadouch comme une bouteille à la mer, demandant à célébrer la sortie de son nouveau disque dans ce cadre. C’est la première fois qu’un concert classique s’y déroule et néanmoins … dans le temps, le piano qui y présidait aux réjouissances était celui de Samson François… Une vingtaine de rangs de chaises pliantes et une lumière bleutée très travaillée accueille David Kadouch et son Steinwey. Le pianiste est aussi ému d’être là et il nous présente, textes sur sa tablette à l’appui, chacun des compositeurs et chacune des compositrices de son nouvel album qui fait référence au titre du fameux roman de Yikio Mishima, Amours interdites :
« Aujourd’hui, il me semble qu’il est temps d’évoquer d’autres amours qui ont tout autant influencé la manière dont ces compositeurs ont créé leur musique. Ce récital en est l’illustration. Composer de la musique, c’est déposer son âme sur une portée, murmurer ses peurs, raconter les parfums sonores d’une histoire. »
David Kadouch commence avec des pièces de la féministe britannique Ethel Smyth (1848-1944), décidée à le devenir compositrice dès l’âge de 12 ans et partie loin d’une famille stricte de militaire à la rencontre de Johannes Brahms, Clara Schumann et Piotr Ilitch Tchaïkovski. Son jeu est intense, sensible et flamboyant. Une flamboyance qu’on retrouve dans son interprétation de pièces inédites (il est allé les chercher) de l’organiste Wanda Landowska qui a aussi composé, notamment un « feu follet » somptueux et une valse qui boit aux même sources polonaise du grand Chopin.
Expliquant à chaque fois les pièces, à qui elles sont dédiées, mais également l’interprétation qu’il va en donner. David Kadouch nous présente toute l’élégance et la brillance de Reynaldo Hahn et il nous transmet avec générosité cette connexion si intime qu’il a avec Francis Poulenc, qui fait déjà le pont entre les répertoires avec son « Hommage à Edith Piaf ». Et c’est peut-être dans Tchaïkovski que le pianiste est le plus poignant, notamment dans son interprétation terrible et tragique de la fameuse Valse des Fleurs, faisant écho à la douloureuse impossibilité du compositeur russe d’être vraiment lui-même : « Je trouve que nos tendances sont pour nous le plus grand et le plus infranchissable obstacle au bonheur, et nous devons combattre notre nature de toutes nos forces. »
Après un bis plus romantique que titi parisien d’«Avril à Paris » de Charles Trenet dont David Kadouch nous a lu les paroles qu’on a redécouvertes autrement dans l’intimité du Tango, les lumières se rallument et le pianiste signe son disque à un public très ému.
Pour en savoir plus sur ce répertoire réuni par David Kadouch des Amours Interdites, rendez-vous sur le livret du CD, écrit par Hervé Lacombe. Pour acheter l’album, où figure également le compositeur polonais Karol Szymanowski, c’est chez Mirare.
(c) YH