Par exemple, en ce moment à Avignon se tient la 47ᵉ édition du festival de danse Les Hivernales et nous y sommes allé•e•s pour couvrir les premiers jours. À la fin de chaque représentation, il était proposé au public de se lever pour faire un selfie géant avec les artistes, et à l’occasion de la création de Sandrine Lescourant, Blossom, le selfie s’est transformé en piste de danse. Le mouvement se nomme #deboutpourlaculture et vise à alerter via les réseaux – tous les réseaux, les maudits comme les nouveaux – ceux et celles qui ne le sauraient pas, que sans subvention, les salles n’ont que deux solutions : augmenter drastiquement les prix ou réduire considérablement la programmation et les effectifs. Pour protester, pour rendre cela visible, les bras se lèvent haut et en rythme.
Et Avignon n’est pas une exception ! Ces derniers temps, où que nous allions, on nous a proposé de danser. Danser en rejoignant un groupe et en nous libérant des carcans comme cela a eu lieu sous sa forme pop au Palais de Chaillot avec Barbara Carlotti, Hervé et Cléa Vincent, ou encore aux derniers TedXParis où Camille Aumont Carnel (alias « J’m’en bats le clito » – 664 000 followers sur Instagram) a terminé son Ted Talk libérateur sur une injonction à danser pour être soi (et a fait se lever 2 800 spectateurs, Shakira Waka Waka !). Danser au cinéma aussi, comme dans la dernière scène du film Wet Monday de Justyna Mytnik, qui a remporté le prix du jury des étudiant·e·s de l’Université des créations – Paris VIII au festival Regards Satellites, une scène de danse dans la nature aussi libératrice que réussie. Danser c’est donc faire corps, faire cas des corps et de leur diversité.
L’exemple le plus marquant de ces dernières années se trouve dans le fil Instagram bien nommé de @mcdansepourleclimat. La militante se définit comme techno-activiste. Elle a cofondé le label @planeteboumboum et fait danser les foules les plus mixtes possibles sur des punchlines telles que « taxer les riches » et « pas de retraités sur une planète brûlée ». Les codes qu’elle emploie sont ceux des fêtes électro, style années 2000 de rigueur. Et ça marche, ces fêtes ont des conséquences politiques. Par exemple, elle et son collectif ont réussi à faire reculer l’enseigne Intermarché qui, cet hiver, ne vend pas de fraises pour respecter la saisonnalité.
Et depuis quelques semaines, plus que jamais, les ouvertures de lieux pleuvent et les collectifs organisateurs de soirées proposent de plus en plus d’espaces pour se déhancher en toute liberté, loin des injonctions relatives au dancefloor… Une idée, rejailli à Avignon cet été, se démocratise, notamment au nouveau club parisien Mia Mao : des soirées sans téléphone, et parfois sans hommes. La non-mixité est sur le devant de la scène ces dernières années, notamment après les vagues d’agressions sexuelles au GHB et au phénomène des piqueurs. À Berlin, le concept des soirées de fin d’après-midi pour les mères a explosé, et en France, le collectif La Bringue est devenu un incontournable. À La Bringue, pas de code. Les filles s’habillent comme elles veulent, dansent comme elles veulent, boivent comme elles veulent, sans se sentir observées et sans avoir à surveiller leur verre. Et une fois la soirée finie, la sororité est de mise jusqu’à ce que chacune soit chez elle, en sécurité. Un lâcher-prise qui n’existe pas toujours en soirée mixte. Un lâcher-prise qui ne plaît pas : en fin d’année, plusieurs soirées de ce type ont été attaquées, notamment le soir d’Halloween où le fumoir extérieur du bar qui accueillait La Bringue à la Villette a été la cible de tirs de mortiers d’artifice… Preuve en est que la fête est politique, elle permet l’affirmation de soi, de son corps, d’une forme de philosophie. C’est d’ailleurs ce que défend le collectif LA CREOLE qui accompagne, depuis six ans déjà, un mouvement de fusion culturelle en mettant la danse au centre avec une philosophie de métissage, tant au niveau du public que de la musique.
Ainsi, joliment partagée, il y a cette idée que nous pouvons accueillir « Everybody » dans un rapport corporel tout aussi divers, mais aussi moins compliqué et surtout moins normé que ne le sont nos discours et nos pensées. Mais faut-il se contenter de cette évidence et surtout jusqu’où peut-on la projeter ? On pense alors à la grande exposition Disco qui ouvre en ce jour de la Saint-Valentin à la Philharmonie de Paris. Riche en archives audiovisuelles et photographiques, en instruments, en costumes, en objets de design et en œuvres d’art, cette ambitieuse exposition souhaite « souligner la dimension politique et festive de cette musique qui a porté sur la piste de danse différentes minorités et classes sociales, toutes réunies dans un même élan hédoniste ». Un idéal vers lequel tendre, irrémédiablement, dans une industrie du disque florissante où les rôles et les injonctions étaient et sont toujours bien établies, en témoignent les récentes prises de parole de Flore Benguigui, ex-chanteuse du groupe l’Impératrice.
Il serait bon de s’assurer que nos rêves de célébration des corps correspondent à des réalités. Il faudrait joindre la parole au geste, célébrer en tout cas ces corps en mouvements qui refusent catégoriquement de se cantonner à être des illustrations. Les corps sortent des marges, pour prendre toute la place et toutes les caractéristiques qui sont les leurs, au cœur de notre espace public. Et cela augure beaucoup de célébrations et d’amour !
Bonnes célébrations dansées à vous,
Yaël, Amélie et Laura
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