Avec Confidente, le couple de cinéastes franco-turc composé de Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti signe son quatrième long-métrage. En seulement 1h16, il réussit à nous emmener dans un thriller haletant, esthétique et politique.
Ankara, 1999. Le quotidien d’Arzu est sombre : handicapée d’une jambe, mère célibataire avec un fils à nourrir, elle enchaîne les appels téléphoniques érotiques dans le call center où elle travaille, confrontée aux fantasmes plus ou moins sinistres de ses clients, tout en subissant les avances de son supérieur. On découvre Arzu prête à tout : elle se plie aux demandes des hommes à l’autre bout du fil, note scrupuleusement tous leurs fantasmes sur son carnet pour pouvoir reprendre son personnage sur-mesure au prochain appel de ses habitués. Jusqu’à ce qu’un jour, un tremblement de terre frappe le pays et chamboule la vie d’Arzu : elle se retrouve à être le seul contact d’un jeune garçon coincé sous les décombres d’un immeuble effondré.
Une des forces du film repose sur son format en huis-clos : on ne quitte pas le call center érotique, et le monde extérieur – les personnages tout autant que le tremblement de terre – ne nous est que suggéré. Nous ne connaissons les femmes du centre que comme prostituées téléphoniques, exactement comme leurs clients, alors qu’elles ont toutes des vies différentes à l’extérieur, et nous ne connaissons les clients que comme clients, exactement comme les femmes du centre, alors qu’ils ont tous des vies différentes à l’autre bout du fil.
Confidente dénonce la violence des hommes, et met en avant la force des femmes. Ce film réussit à toucher un sujet qui ne connaît pas de frontières, celui du patriarcat, tout en s’inscrivant dans une perspective nationale, celle de la Turquie. On y voit un pays où tout est corrompu, du call center en banlieue d’Ankara jusqu’aux plus hauts dirigeants politiques, et où la violence règne partout.
La beauté des images à l’écran contraste avec la difficulté de l’histoire que l’on traverse. Les gros plans sur le visage d’Arzu, incarnée par la magnétique Saadet Işıl Aksoy, permettent de réellement entrer dans son univers : la caméra ne la quitte presque pas et nous plonge de force dans la violence de son quotidien. Les seul·e·s personnages physiquement présent·e·s à l’écran sont les autres femmes du centre, dont l’attitude contraste souvent avec la difficulté de ce qu’elles traversent – on en aperçoit une qui tricote tandis qu’elle répond aux clients -, et le proxénète qui dirige le centre. Presque tout le reste ne passe que par la voix, par les histoires qu’Arzu – et nous avec – devine de ses clients, par le ton des uns et les fantasmes des autres. Jusqu’au dernier moment, Arzu refusera de voir leurs visages. Les hommes réussissent à avoir une emprise, un contrôle, un pouvoir, sans pour autant être présents ni même visibles. Et pourtant, d’une certaine manière, Confidente nous parle aussi de libération, d’émancipation, de reprise de contrôle par la femme. C’est un film touchant, politiquement fort et cinématographiquement magnifique qu’il ne faut pas hésiter à aller voir.
Film en salle le mercredi 6 août
Âge recommandé : 16 ans et plus
Visuel : © Pyramide Distribution