Clémence Demesme : « J’adapte des lettres que les gens écrivent, mais n’envoient pas »

La rumeur court que vous avez une nouvelle passion pour des lettres non envoyées…

Tout à fait. Il s’agit de mon nouveau projet. J’y travaille depuis quelques mois, voire quelques années. Il s’appelle Unsent. J’adapte des lettres que les gens écrivent, mais n’envoient pas.

Pourquoi s’intéresser à des lettres qui n’arrivent pas à destination ?

Ces lettres-là touchent à l’intime, elles touchent aux vies intérieures des personnes. La plupart du temps, quand on commence à écrire une lettre, on sait si on va l’envoyer ou pas. Quand on écrit en sachant que ce contenu restera entre soi et soi, tous les filtres s’envolent. Il y a quelque chose de très psychanalytique aussi dans ces lettres, c’est un peu comme être allongé sur le divan, ces lettres sont des miroirs dans lequel chacun se reflète. Et ça, ça me fascine.

Quelles formes concrètes prennent ces lettres, est-ce du papier, des SMS… ?

Il s’agit de courriers adressés, donc ça peut être tout à fait une note téléphonique, un e-mail, des lignes dans un carnet. Ce qui compte vraiment pour l’authenticité du projet, c’est le passage à l’acte, le fait d’écrire. C’est que la lettre soit réelle et adressée à quelqu’un.

Quelle sera la forme finale d’Unsent ?

Unset sera une série d’épisodes distincts de six minutes. On ne peut pas encore vous dire sur quelle plateforme les épisodes seront diffusés. C’est encore en discussion. Nous en sommes à l’étape de la collecte. Notre objectif est de récolter un maximum de lettres. C’est un énorme cadeau qu’on nous fait quand on nous confie ces lettres pour pouvoir les adapter. C’est quand même quelque chose de très intime qu’on nous met entre les mains et j’ai la volonté ferme d’en faire quelque chose de très beau, avec des acteurs formidables. Pour l’instant, voilà, nous en sommes encore à cette étape de chercher, de chiner ces lettres.

Vous en trouvez beaucoup ?

Pour le moment, je commence à évaluer qu’une personne sur deux écrit des lettres non envoyées. Une sur trois voudra bien me les donner. Ensuite, il faut garder seulement ce qui nourrit le projet. Se posent aussi des questions d’équilibre. Qu’est-ce qu’on veut raconter du monde ? Comment rester éthique et équitable ? Notre sélection sera faite au regard des autres courriers qu’on va recevoir.

Est-ce qu’il y a des motifs répétitifs dans ces lettres. Vous retrouvez un peu les mêmes gimmicks ?

Oui et c’est assez surprenant. Par exemple, il y a beaucoup d’hommes qui écrivent à leur père. Et dans les lettres qu’on a reçues, ces lettres non envoyées sont généralement adressées à des hommes, c’est le cas la plupart du temps. Je parle de neuf lettres sur dix ! Il y a une parité des auteurs, on reçoit autant de lettres écrites par des femmes que par des hommes, mais elles sont la plupart du temps, dans l’extrême majorité, adressées à des hommes.

Qu’est-ce que ça raconte ?

Je ne sais pas mais je trouve ça intéressant, je pense que quand on aura assez de lettres, quand on aura accumulé un certain nombre de lettres, ce sera sans doute intéressant. Peut-être qu’un sociologue ou des psys se pencheront sur ce matériel. Pour le moment, c’est une exploration pour moi et Sophie Duc, ma consœur avec qui je travaille en binôme sur l’élaboration de ce projet. C’est elle qui reçoit les lettres, quand elle me les donne, elles sont sous forme de textes déjà anonymisés, donc je ne sais pas d’où elles viennent. Mais voilà, ce sont des choses qui nous interrogent.

Avec qui auriez-vous envie de travailler ?

Ce projet est né de mon envie de renouer avec les acteurs, avec le texte, avec les mots à la bouche. Je filme beaucoup de mouvements, mais les mots me manquaient. J’ai déjà travaillé avec des comédien.es pour le pilote. J’aurai envie de voir des acteurs de théâtre à l’écran pour avoir quelque chose de frontal, ce que je retrouve chez les comédien.es de plateau et que j’ai envie de voir à l’image.

Est-ce que dans les lettres que vous trouvez, la question du rapport amoureux, du manque est fréquente ?

La question du rapport amoureux, oui. Vous parliez de désir, on n’a pas encore lu par exemple de lettres érotiques, mais cela va sans doute arriver. Pour le moment, il y a du manque, beaucoup même, mais il n’est pas forcément lié à l’amour amoureux. Comme je vous le disais en début d’interview, la famille est fréquemment au centre de ces déclarations intimes. Elle est le lieu des sentiments les plus forts, comme des plus grandes violences.

Le teaser.

 

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